Vous trouverez une présentation très accessible des articles de vos "THEMES FAVORIS" dans le répertoire ci dessous.
Brice Thomas écrivait dans Le Guide du carrossier, journal destiné aux professionnels de la carrosserie et dont il était le créateur : « pour les profanes, c’est-à-dire pour ceux que ni leur fortune ni leur profession n’ont mis en situation de connaître un peu les équipages, le mot calèche sert à désigner une belle voiture de Maître. Qu’il s’agisse d’un milord, d’un landau, d’un phaéton etc… on dit que l’on a vu Madame x… passer dans sa calèche ».
La pureté de ses lignes, la justesse de ses proportions, les courbes gracieuses de ses ressorts, le balancement souple et majestueux de sa caisse, valent à la calèche d’être, dans l’inconscient collectif, l’archétype de la voiture élégante et luxueuse. Réservée à l’élite aristocratique et fortunée, elle évoque aussi bien les cortèges fastueux que les promenades romantiques, où elle offre à la beauté de ses passagères et à celle de leurs toilettes, l’écrin le plus raffiné. Lorsque Baudelaire écrit « une voiture, comme un vaisseau, emprunte au mouvement une grâce mystérieuse », si sa main trace les lettres du mot « voiture », c’est, à n’en pas douter, une calèche qui habite l’imagination du poète.
Au XIX e siècle, dans sa forme définitive, la calèche est une voiture de grand luxe, utilisée à la belle saison, dans des cortèges, à la promenade en ville et dans les parcs. Elle possède une caisse à deux fonds, généralement symétriques, contenant chacun un siège pour deux personnes. Le plus important, à l’arrière, est généralement abrité par une capote. On y accède par deux petites portières ouvertes au centre des panneaux latéraux.
La formule la plus élégante combine une caisse arrondie et un train à flèche à ressorts en C, ou, mieux encore, à huit ressorts. Cette forme arrondie est qualifiée des appellations bateau ou nacelle selon la hauteur plus ou moins grande des panneaux.
4. Calèche nacelle de l’empereur d’Autriche François 1er, construite à Vienne par le carrossier Armbruster vers 1815. (Vienne, palais de Schönbrunn, Wagenburg)
5. Calèche nacelle à huit ressorts construite par le carrossier Banié à Paris, deuxième moitié du XIXe siècle. (Bornem, Coll. comte J. de Marnix de Sainte Aldegonde)
Le siège du cocher peut être à housse pour les versions de gala très luxueuses.
6. Calèche de gala, à huit-ressorts, caisse en nacelle et siège à housse à la française, modèle de Million-Guiet à Paris.
Mais le plus souvent, il est monté sur de simples ferrures ou, à l’anglaise, sur un coffre carré ; dans ces deux cas il est démontable et permet l’attelage à la d’Aumont. Les calèches attelées ainsi possèdent un siège pour un ou deux valets de pied à l’arrière de la caisse.
La perfection que la calèche atteint sous le Second Empire est le résultat d’une longue évolution depuis le XVIIe siècle où elle est apparue pour la première fois.
« Marquis, allons au cours, faire voir ma calèche… »
Grâce aux comptes des Trésoriers des Ecuries du Roy, on peut observer le succès grandissant de cette voiture tout au long du règne de Louis XIV. La première à entrer aux Ecuries royales, en 1643, année même où le jeune Louis monte sur le trône, est « une petite calèche ». Le 26 août 1660, après son mariage avec Louis XIV, Marie-Thérèse d’Espagne, nouvelle reine de France, fait son entrée dans Paris à bord d’une « calèche à la romaine » célébrée par le fabuliste Jean de La Fontaine :
« On dit qu’elle était d’or, et semblait d’or massif, et qu’il s’en fait peu de pareilles »
A l’occasion de ce mariage royal, le cardinal Mazarin avait reçu une nouvelle calèche garnie de velours de Milan.
Relatant les fêtes données à Fontainebleau au cours de l’été 1661, en l’honneur d’Henriette d’Angleterre, Madame de La Fayette nous renseigne sur l’usage festif des calèches : « après souper, on montait dans des calèches, et au bruit des violons on s’allait promener une partie de la nuit autour du canal ». En 1663, les comptes des Ecuries mentionnent trois calèches, dont une « en forme de vaisseau ». En 1665, trois nouvelles acquisitions enrichissent les écuries royales : une calèche verte, une calèche vitrée et une calèche à ressorts. En 1671, Madame de Sévigné se rend au château de Fouesnel dans une calèche à six chevaux : « il n’y a rien de plus joli, s’émerveille-t-elle, il semble qu’on vole ». En juillet 1676, notre marquise épistolière donne une description précise de la calèche : « A six heures on monte en calèche, le Roi, Madame de Montespan, Monsieur, Madame de Thianges et la bonne d’Heudicourt sur le strapontin. Vous savez comme ces calèches sont faites : on ne se regarde point, on est tourné du même côté. La Reine était dans une autre avec les princesses ».
La même année 1676, Madame de Montespan utilise aussi une calèche à six chevaux pour aller à Vichy. En 1679, Le Mercure de France décrit « une magnifique calèche » offerte au roi par le Maréchal duc de Vivonne. En 1683, six nouvelles calèches sont achetées, dont une vitrée, deux ouvertes et une de couleur violette.
Depuis qu’il s’était cassé le bras en courant le cerf en 1683, Louis XIV suivait la chasse dans une calèche « tirée par quatre petits chevaux qu’il menait lui-même à toute bride, avec une adresse et une justesse que n’ont pas les meilleurs cochers » selon Saint-Simon, admiratif. Un tableau du peintre J.D. Martin montre le roi menant cette calèche basse, en bois doré, à train rouge, attelée à quatre chevaux noirs (Musée national de Fontainebleau).
7. Louis XIV conduisant sa calèche à la chasse. Peinture de J.D. Martin. (Musée national de Fontainebleau)
Parce qu’elle est à la pointe de la mode, c’est elle que Molière mentionne dans sa pièce Les Fâcheux (1661) comme la voiture la plus apte à satisfaire la vanité d’un jeune homme du monde :
« Marquis, allons au cours faire voir ma calèche ;
Elle est bien entendue, et plus d’un duc et pair
En fait à mon faiseur faire une du même air. »
C’est alors une voiture légère, à quatre roues, découverte, ou équipée d’une capote de cuir, appelée soufflet — par extension, le mot est appliqué aux voitures munies d’une telle capote —. On l’utilise pour la promenade dans les parcs ou pour la chasse. Certaines plus richement ornées et couvertes d’un dais, inspirées des chars de triomphe, prennent place dans les cortèges officiels.
La calèche reste en vogue durant tout le XVIIIe siècle. « On n’est point à la mode, dit Le Mercure d’août 1714, si l’on n’a à présent un soufflet pour aller se promener la nuit au cours ».
En 1724, deux grandes calèches de campagne sont livrées à Louis XV : équipées d’un siège établi tout autour de l’espace intérieur et adossé aux quatre côtés de la caisse, elles sont du type “gondole”, l’une à dix places, l’autre à douze. Celle-ci, magnifiquement ornée des attributs de la chasse sculptés sur le train par Haise et peints sur les panneaux par Jean-Baptiste Oudry, est l’œuvre du carrossier La Fontaine ; c’est sans doute avec elle que le roi et onze seigneurs qui l’accompagnaient, versèrent le 28 octobre 1726, lors d’une chasse en forêt de Fontainebleau. Entre 1734 et 1745, dans les neuf grandes compositions qu’il consacre aux chasses de Louis XV Oudry représente fidèlement différentes versions de calèches que le roi utilise à la chasse.
En 1771, dans son ouvrage sur la menuiserie en voitures, Roubo décrit ainsi les calèches : « Les calèches sont des voitures de campagne destinées à la promenade ou à la chasse, lesquelles sont à plusieurs rangs de bancs, ouvertes de tous côtés au-dessus de l’appui ou fermés seulement par des rideaux, et dont l’impériale est soutenue par des montants de fer […] Ces sortes de voitures sont faites pour jouir de l’air et de la vue de la campagne ».
9. Calèche (Recueil de planches sur les sciences, les arts libéraux et les arts méchaniques (sic) avec leur explication, volume illustrant L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, 9ème volume, 1771, article Sellier-Carrossier, pl. VIII)
De cette longue période couvrant un siècle et demi ne subsistent que quelques pièces, conservées aux Kurpfalzisches Museums de Heidelberg, à la Wagenburg du Palais de Schönbrunn à Vienne, au château de Strömsholm (Suède), au château d’Augustusburg (Allemagne), au Musée Piersanti à Metalica (Italie), au Nationalmuseet de Lyngby (Danemark), à Moscou au Palais des Armures du Kremlin et au Musée Historique d’Etat.
Dans les dernières années du XVIIIe siècle, la calèche acquiert sa forme définitive, caractérisée par une caisse arrondie en partie couverte d’une capote, comme le montre un dessin de Pujin paru dans Le Magasin des Modes Nouvelles, le 30 septembre 1787.
Les calèches à la d’Aumont apparues sous le Premier Empire seront parmi les plus belles réussites de la carrosserie parisienne de tous les temps : caisse aux courbes parfaitement symétriques, allégée par des brancards à jour, comme celles représentées sur les toiles de Joseph Bidault et Horace Vernet (Paris, Musée Marmottan) et d’Alexandre Dunouy (Palais de l’Elysée), et dont subsistent deux exemplaires exceptionnels : le premier, œuvre du carrossier Prelot (Chantilly, Musée Condé, en dépôt au Musée vivant du cheval) et l’exquise petite calèche du Roi de Rome, réalisée par le carrossier Tremblay avec une incomparable finesse d’exécution (Vienne, Palais de Schönbrunn).
11. Calèche à la d’Aumont. Détail du tableau Le château de Benrath peint par Alexandre Dunouy, 1806 (Paris, Palais de l’Elysée)
12. Calèche d’enfant du Roi de Rome, construite à Paris en 1812 par Tremblay d’après un projet d’Antoine Carassi (Vienne, Palais de Schönbrunn, Wagenburg)
La beauté de ces voitures leur vaut la faveur des élégantes les plus exigeantes, comme le constate dès 1815 l’Almanach des modes et annuaire des modes réunies : « la voiture sans contredit la plus agréable, celle dans laquelle, nonchalamment et mollement assise, une femme est vue de la tête aux pieds, c’est la Calèche. Les dames ont pour cette voiture une prédilection particulière ». A sa mort en 1814, l’ex-impératrice Joséphine en possède trois, abritées dans les remises de La Malmaison : une à fond jaune et noir, une à fond bleu et or à décor de perles, une bleu de ciel à parasol blanc.
13. Calèche à brancards de caisse à jour, d’époque 1er empire, telle que devaient être celles de l’ex-impératrice Joséphine. Modèle extrait des Dessins de voitures par D.M. Duchesne, 1808.
Sous Louis-Philippe, de nombreuses calèches assurent le service du roi : à sa chute, en 1848, sur quarante et une voitures royales affectées aux membres du gouvernement provisoire de la nouvelle République, dix-sept sont des calèches, dont sept briskas.
La calèche connaît son apogée sous le Second Empire. Les équipages atteignent alors un degré de raffinement et de perfection jamais égalé. Le service à la d’Aumont des Ecuries impériales comprend à lui seul douze calèches huit-ressorts, toutes signées Ehrler, carrossier favori de l’empereur, et dont la spécialité depuis 1860, était, justement, la fabrication de grandes calèches. L’Impératrice Eugénie donne le ton : sort-elle dans une calèche tirée par quatre bais splendides dont le front est empanaché de grappes de glycine, qu’aussitôt, toutes les dames fleurissent la tête de leurs chevaux, telle Madame Feuillant qui pare les brides des grands chevaux noirs de sa calèche avec des violettes de Parme ! Attelée à la d’Aumont, la calèche bleue à rechampis jaune de Cora Pearl, maîtresse entre autres du duc de Morny, fait sensation dans Paris.
Les clichés des célèbres photographes équestres Delton père et fils nous montrent la calèche du prince Constantin Radziwill et celle de la princesse de Metternich, toutes deux à huit-ressorts et impeccablement attelées, ou celle du comte Boni de Castellane si parfaite que les cochers de fiacre l’applaudissaient, debout sur leur siège, lorsqu’elle descendait les Champs-Elysées !
15. Le prince et la princesse de Metternich avec le prince de Sagan dans la calèche de l’ambassade d’Autriche à Paris, 1867. Photo Delton, Le Monde du cheval.
Bien qu’elles soient peu à peu remplacées par les sociables et les vis-à-vis, moins ostentatoires, les calèches, selon Brice Thomas, gardent toujours la faveur « des dames élégantes qui, au lieu d’être entièrement enterrées dans un véhicule et de passer inaperçues, préfèrent être complètement à découvert et laisser voir la finesse, la délicatesse de leur goût en fait de toilette, leur aisance dans les manières et leur cachet de distinction ».
Rouler en calèche aux beaux jours, imposait d’avoir pour l’hiver une voiture fermée, berline ou coupé. Les carrossiers imaginèrent à l’intention de leurs clients insuffisamment fortunés pour assurer la dépense d’un véhicule supplémentaire, de transformer certaines calèches en voitures fermées, utilisables par mauvais temps. Un châssis vitré et un toit en cuir, amovibles, adaptés sur la partie antérieure de la caisse, venaient compléter l’abri offert par la capote, et former un habitacle entièrement clos.
Ce système ingénieux et économique, mais peu pratique, s’utilise généralement sur des calèches moins luxueuses et simplement montées sur des ressorts à pincettes. Appelées calèches transformables, ou plus communément wourchs, elles sont très répandues durant tout le XIXe siècle. Ce système de fermeture amovible vitrée est cependant plus ancien ; il existe en effet sur une voiture de la fin du XVIIIe siècle conservée dans la collection du Musée communal de Macerata en Italie.
Parce qu’elle offrait à ses passagers, lorsqu’elle était décapotée, une vue circulaire et un contact direct avec la nature environnante, la calèche fut aussi une voiture de voyage appréciée par tous ceux qui désiraient découvrir et admirer au mieux grâce à une vision panoramique les sites et les paysages traversés. En juin 1817, Laure Junot, duchesse d’Abrantès, quitte Paris pour l’Italie. Voulant profiter du beau temps estival, elle choisit de rouler en calèche. Sur la route du Simplon « Je me mis sur le siège de ma voiture, écrit-elle, et laissant l’intérieur à mes gens, je me laissai aller à jouir du spectacle magnifique qui m’entourait ».
L’iconographie est riche en représentations de calèches de voyage surchargées de bagages et cartons à chapeaux, lancées à pleine vitesse sur les routes et les chemins, par monts et par vaux, traversant des gués, gravissant des côtes abruptes, dévalant au grand galop des pentes vertigineuses, embourbées dans des ornières, emportées par des attelages affolés par l’orage, attaquées par des brigands de grand chemin…
Rien ne les distingue des modèles de luxe et de ville, sinon leurs trains plus forts, les coffres solidaires de la caisse à l’avant et à l’arrière, et les montagnes de bagages empilés jusque sur la capote.
19. Calèche de voyage surchargée de coffres et de malles. Dessin de Nicolas Koller, Vienne, vers 1830.
Seule la briska forme un type distinct. Selon Brice Thomas, elle dériverait de la britschka « chariot recouvert d’osier dont se servent les russes et qu’ils transforment en traîneau l’hiver, en en retirant les roues ». Elle est reconnaissable à la grande robustesse du train, des roues et des ressorts, et surtout au fond plat de la caisse, hérité du traîneau. Deux passagers peuvent y voyager, jambes étendues et protégées par un tablier de cuir recouvrant la partie antérieure, et le corps à l’abri derrière un châssis vitré amovible, appelé vasistas, que l’on peut fixer à volonté sous le premier arceau de la capote. Deux grands coffres à bagages sont solidaires de la caisse. Sur le premier, à l’avant, est fixé le siège du cocher. Le second, à l’arrière, supporte un siège pour deux domestiques.
Ces magnifiques calèches ont disparu pour la plupart. Aujourd’hui il est très rare de pouvoir admirer des calèches correctement attelées, en grandes guides ou à la d’Aumont, ailleurs que dans les quelques capitales européennes sièges d’une monarchie, Londres, La Haye, Copenhague, Stockholm, à l’occasion de cérémonies officielles. La plus féérique de toutes est la calèche de couleur crème, construite par le carrossier M.L. Hermans en 1898 pour la reine Wilhelmine des Pays-Bas, dont la caisse arrondie en nacelle se balance gracieusement sur huit ressorts, à l’occasion de ses sorties dans les rues de La Haye, au trot d’un attelage de Frisons pleins de feu, aux splendides crinières d’un noir intense qui se mêlent à la soie blanche des guides et des enrênements : rien n’est plus beau !
Texte et Documentation:
Jean Louis Libourel