Vous trouverez une présentation très accessible des articles de vos "THEMES FAVORIS" dans le répertoire ci dessous.
Par figoli
Pierre qui roule…
Paris, 1900… Imaginez-vous, flânant du côté des quais de Seine. La circulation est déjà dense ce matin ; les livraisons vont bon train, les omnibus affichent complet. Un roulement de tonnerre vous sort soudain de vos pensées. Le sol tremble ostensiblement. De l’autre côté du parapet : une cohorte de fers martèlent les pavés, le grondement augmente encore, assourdissant. Derrière le muret, six chevaux arrachent à la rampe un fardier, énorme, chargé d’un bloc de pierre d’au moins 10 tonnes !
La recherche historique, évènementielle et artistique, a longtemps ignorée celle des techniques, notamment des transports, comme si acheminer jusqu’aux chantiers (pourtant jugés impressionnants) toutes les charpentes, les pierres et autres les matériaux relevait d’une évidence. On le déplore, les archives écrites essentiellement comptables, administratives ou judiciaires sont, à ce sujet, souvent lacunaires. Le geste ? Disparu, évidemment… Et si, furtivement, il nous était offert de revoir ces attelées titanesques en action ? Oui, des films existent ! Oubliés depuis des décennies, ils reviennent maintenant à la vie grâce aux récents procédés de numérisation et de restauration mais ils restent malheureusement difficiles d’accès et d’utilisation pour des questions juridiques. La confluence des sources nous régale quand même d’un nouvel éclairage.
Suivons, dans ce Paris de la Belle Epoque (attention, il en eut été tout autrement dans le Paris haussmannien, une pierre qui… roule !
- Une scène rare, le chargement d’un bloc de pierre par des carriers dans l’Yonne.
- La sortie des carrières est une opération aussi délicate que spectaculaire. Les attelages sont composés, en effectif et en disposition,selon la charge, la distance à parcourir et la configuration du site (pente, largeur des voies d’extraction, etc.)
- Suivant l’importance de la carrière, un ou plusieurs attelages travaillent parallèlement. Certains appartiennent au propriétaire des lieux, d’autres aux rouliers spécialisés, recrutés en fonction des livraisons à effectuer. Les équipements de manutention varient aussi largement d’une carrière à l’autre : portiques, grues…
- Une première étape conduit en général l’attelage jusqu’à une gare de chemin de fer où les pierres de taille seront déposées sur un wagon plat pour être expédiés, parfois loin…
- Quand une moindre distance le permet, les attelages arrivent par la route. L’entrée dans Paris suppose un arrêt à la barrière d’octroi. La circulation des gros attelages est très réglementée par l’autorité préfectorale.
- La voie fluviale est néanmoins largement privilégiée au rail et à la route. Les quais d’Orsay, de Jemmapes, le bassin de la Villette prennent parfois une allure « pharaonique ».On y voit souvent des fardiers dételés, alignés, prêts à être amenés sous les portiques de chargement.
: C’est là que les charretiers viennent chercher les pierres, soigneusement identifiées selon les chantiers de destination. Les opérations de chargement pouvant toutefois prendre du temps, il n’est pas rare de voir plusieurs attelages patienter à proximité. C’est l’occasion de prendre des forces !
- Les attelages typiques du roulage de la pierre à Paris : 6 chevaux. Cinq sont en file dans alignement du fardier, un sixième sur le côté droit du chevillier (désignation du cheval placé immédiatement devant le limonier (cheval placé entre les limons - les brancards - du véhicule)). La traction de ce cheval de renfort, surtout précieux au démarrage, s’exerce directement sur un palonnier crocheté au limon droit. C’est un moyen détourné pour les charretiers de bénéficier d’un cheval supplémentaire sans déroger à la police du roulage (ancêtre du Code de la route) qui interdit, en « marche normale » et sous le contrôle d’un seul conducteur, un attelage de plus de 5 chevaux en file.
- En 1828, puis en 1844 et 1861, on légiféra sur les transports de pierre qui, se multipliant, causaient de plus en plus de perturbations dans la capitale. La largeur du chargement fut limitée à 2,50 m. et la charge fut définie en fonction des tailles de jantes (pression au sol autorisée de 150 kg par cm de largeur). L’envergure maximum des colliers fut fixée à 90 cm. Des règles élémentaires de sécurité furent également arrêtées pour le stationnement et la surveillance des animaux, l’allure du pas fut imposée… La Préfecture de police de Paris continua ensuite d’établir des principes plus ponctuels ; certains existent encore, transposés au moteur. Les trépidations du sol au passage des fardiers supposèrent vite leur interdiction au voisinage des façades fragiles, leur circulation sur les voies de moins de 8 mètres de large fut aussi interdite, comme leur bannissement des artères les plus fréquentées par les « petits attelages » et les cavaliers : Champs Elysées, Montaigne, Marigny... Les grands boulevards et une quinzaine de rues leurs furent interdits entre 15 et 19 heures. Les convois qui se formaient devaient se scinder pour laisser un espace intercalaire de 25 mètres entre les attelages...
– Planche extraite de L’Art pratique du Charron-Forgeron (Edition Mathière, 1900). C’est le fardier-modèle, parisien, des années 1880 – 1910. Seulement quelques ateliers de charronnage étaient capables de construire de genre de gros véhicule. La Compagnie Nouvelle des Gros Camionnages de Paris, par exemple, spécialisée dans les transports pondéreux passe commande à la Maison Sabon et Renault (75 rue Riquet, à La Chapelle, Paris) réputée pour ses « chariots et harnais de 10 à 50 tonnes » (!).
– Le harnais du limonier : il est dépourvu de sellette car la limonière fixe n’a pas besoin d’être portée, des « fontes » suspendues au collier et à un surdos sont à la fois destinées à protéger les épaules des saccades de la limonière agitée par les pavés et à aider le solide cheval à diriger (en s’appuyant) le pesant avant-train.
- Détail du harnais des chevaux de « devant », chevillier et chevaux de cordeau. A noter que seul le devancier (cheval de tête) n’a pas de reculement (voir image 10) dont la fonction est d’absorber au démarrage l’énorme choc dans le harnais. Profitons du passage de ce maître-charretier pour saluer à sa juste valeur … l’Artiste.
– Il aurait fallu une quinzaine de chevaux au moins pour assurer ce transport… Le charroi des pierres (et tous les gros camionnages) ne peuvent résister économiquement et pratiquement à la concurrence de moteur, fût-il d’abord à vapeur !
Textes et illustrations:
Etienne Petitclerc
Eclipse Next 2019 - Hébergé par Overblog