Coup de jeune
Imaginez une vieille un peu chauve, un chouïa édentée, la dartre galopante comme une plaque tectonique chevauchant un champ de rides séchées, avec, peut-être, si vous la bousculez un peu, un rien de shimmy
dans les genoux…
On voit bien qu’elle a été belle et sobrement élégante.
Quoique fanée, elle a gardé dans son allure, ou plutôt dans ce qu’il en reste, de la branche, du chien, de la classe, enfin ce quelque chose d’indéfinissable qui continue de la distinguer et
qui séduit encore malgré le soleil, le vent, la pluie et les branches qui l’ont éraflée.
Ah oui, j’ai oublié de vous dire que cette mamie-belle, n’est pas une
femme, mais une ancêtre à quatre roues.
Née dans les années difficiles de la Suède à la fin XVIII°, elle est un harmonieux exemple de ces phaétons tout de courbes vêtus.
La plume alerte qui l’a tracée, échappant au cercle des frettes, vibrionne dans les ressorts, s’enroule dans la capote, vire à la corde au sommet du garde-crottes et d’un dernier paraphe achève sa ronde enfin dans le passage des roues. Une valse.
Lui redonner vie était primordial.
Réparer ses forces, ressemeler oui, mais botoxer, lifter, vernir à ne plus oser y toucher… rhabiller de neuf, non, peut-être pas, pas tout, pas autant, pas en entier… sans courir le risque de perdre, avec le sourire de la ride, la précieuse patine, le cachet de la teinte, indéfinissable, fané, mais tellement séduisant.
Elle n’a pas l’air d’être neuve, trop neuve et clinquante à présent.
C’aurait été une telle faute de goût…
Il est évident qu’elle est belle et qu’elle a vécu.
Lui rendre vie avec intelligence, avec respect, ainsi qu’on le lui a permis, la fait plus belle encore et la protège des affronts, comme en subissent d’autres belles anciennes qui semblent droit sorties de l’usine et dont on entend murmurer :
- Moui… c’est une belle copie.
Julie Wasselin