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Cachez ce moteur ...
que je ne saurais voir !
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De nos jours, tout propriétaire de voiture de luxe se fait un plaisir de vous ouvrir l'imposant capot de son bijou mécanique, afin que vous puissiez découvrir sa plus grande fierté; le splendide moteur de son bolide.
Pourtant, à la naissance de l'automobile, la majorité des acquéreurs de ce nouveau moyen de transport demandait aux constructeurs et carrossiers de cacher cet objet "malséant" qu'était le moteur. Voici quelques explications sur cette étonnante attitude.
Remontons le cours de l'histoire pour découvrir, 140 ans en arrière, les premières expérimentations de véhicules mus par un moteur à pétrole.
Le premier véhicule à pétrole, fut, dès 1875, imaginé, en Autriche, par Siegfried Marcus.
En France, le premier véhicule de ce type fut créé, en 1883, par Delamarre Debouteville. En 1886, le tricycle créé par Carl Benz avait encore un fonctionnement très aléatoire.
En août 1888, à l’insu de son mari, la femme de Carl Benz, aidée de ses 2 fils, utilisa la troisième version du tricycle pour aller de Manheim à Pforzeim, distant de 100 km. Elle réalisa donc, en quand même une journée, le premier voyage inter-cité, participant ainsi à la renommée de son mari.
Nous constatons que le brevet initial de 1886 proposait un véhicule construit pour répondre aux innombrables contraintes technologiques. Il déployait les connaissances les plus en pointe de l'industrie mécanique et vélocipédique et les faisait voir.
La troisième version, quant à elle, cachait le moteur et présentait une esthétique reprenant les classiques de l'industrie hippomobile.
Carl Benz privilégia donc, pour la sortie de son véhicule sur le marché, une esthétique beaucoup moins révolutionnaire et innovante que son modèle d'origine.
C'est encore plus flagrant pour sa première voiture quatre roues, construite en 1893.
Cette tendance à cacher la mécanique et à privilégier l'esthétique hippomobile va perdurer pendant quelques années. Les premiers véhicules à pétrole furent d'ailleurs désignés, au départ, sous le vocable " voitures sans chevaux". Celui-ci définissait en fait l'ensemble des véhicules à traction mécanique; fonctionnant au pétrole, à l'électricité, à la vapeur ou à l'air comprimé.
Les premières manifestations organisées autour de ces véhicules reprenaient cette terminologie. Ainsi, "Le petit journal" organisait-il, en août 1894, un concours de "voitures sans chevaux". L'objet de ce concours était de juger ces véhicules sur les critères suivants:
"Etre, sans danger, facilement maniable pour les voyageurs et ne pas coûter trop cher sur la route"
Sur ces critères, le premier prix fut partagé entre deux précurseurs de l'automobile: "Panhard Levassor" et "Les Fils de Peugeot Frères". Les deux voiturettes étaient mues par un moteur Daimler. Mais Panhard Levassor révolutionna l'esthétique conventionnelle en positionnant, pour des raisons techniques, le moteur à l'avant, le rendant ainsi visible. Malgré cette victoire de la modernité sur les autres voitures sans chevaux, ces novateurs eurent des difficultés dans le développement de leurs productions. En 1898, "Les Fils de Peugeot frères" produisirent seulement 153 voitures et leur confrère Renault 76, en 1899.
L'utilisation de "voiture sans chevaux" représentait, de fait, un choc culturel, pour ne pas dire une rupture de civilisation, ce qui entraîna un certain nombre de résistances dont le refus d'une esthétique par trop moderne.
Ces voitures, que l'on présentait alors comme "un jouet mécanique", n'étaient accessibles qu'aux classes sociales très aisées. Les attentes de ces futurs acquéreurs potentiels n'étaient pas homogènes.
Nous pouvons distinguer deux types de clientèles potentielles:
-Une, minoritaire, composée de passionnés de mécanique et de sportsmen qui accompagnèrent le développement du sport automobile. On peut citer le baron de Zuylen Neyvel de Haar, figure incontournable de la vie équestre parisienne (voir l'article "Les écuries du baron de Zuylen Neyvel de Haar") et le baron de Dion, célèbre inventeur et industriel, qui, en 1895, furent à l'origine de la création de l'Automobile club.
-L'autre, composée de la majorité de la haute société qui se voulait à la mode mais était défiante vis à vis de la mécanique. C'est cette clientèle qui imposa aux constructeurs et aux carrossiers le choix de critères esthétiques proches de la carrosserie hippomobile.
La prise en compte de cette résistance par les constructeurs et carrossiers s'exprima nettement à l'Exposition de l'outil, en 1897, où quelques véhicules à moteur étaient présentés, puis à la première Exposition de l'automobile organisée par le Touring club de France, en 1898.
La grande majorité des voitures exposées reprenait les formes des voitures hippomobiles, qu'elles soient de transport de luxe ou de service.
Première Exposition de l'automobile en 1898, organisée du 15 juin au 13 juillet sur la terrasse du jardin des Tuileries.
Hormis quelques exceptions comme Panhard Levassor, la majorité des constructeurs automobiles proposait un châssis et une mécanique que les carrossiers "habillaient" en s'inspirant des modèles hippomobiles; landaus, coupés, dog-cart,.... Les délais de fabrication de cet assemblage complexe étaient, pour chaque commande, de 16 à 18 mois pour des véhicules ne dépassant pas, au départ, la vitesse d'un attelage.
Les grandes maisons de la carrosserie parisienne s'impliquèrent dans la création de ces véhicules de grand luxe en respectant, le plus possible, le caractère de leur propre production hippomobile.
Voici, par exemple, des milords fermés hippomobiles et automobiles construits par le carrossier parisien Kellner, à la fin des années 1890.
Kellner offrait un panel très large de modèles; landau, landaulet, coupé, vis à vis,...., dont nous vous présentons ci-dessous quelques modèles.
Les autres carrossiers; Binder, Rothschild,..., eurent la même démarche
Dans tous ces modèles, le moteur transversal, positionné à l'arrière, est au maximum dissimulé. Voici quelques explications sur cet effet de mode:
- L'image sociale:
Le milieu bourgeois et aristocratique appréciait les productions industrielles pour leurs résultats, à condition qu'elles soient cantonnées dans les banlieues et leurs usines.
"Toucher soit même à une machine, c'était se déqualifier"
Ainsi, le marquis De Dion laissa-t-il son fils dilapider sa fortune avec ses maîtresses mais le mit-il sous conseil judiciaire dès que le jeune comte s'occupa de mécanique.
Dans la mentalité de cette classe dirigeante, se faire voir dans une voiture sans chevaux était un gage de modernité, de reconnaissance sociale, à condition que l'on ne puisse voir cet outil d'atelier qu'est le moteur. Ce landau automobile est ainsi très proche de cet autre landau hippomobile.
- Le manque de créativité
Il faut noter également que les carrossiers, habitués à une évolution, jusque-là progressive, des formes et avancées techniques, eurent du mal à imaginer des modèles spécifiques aux voitures à moteur. C'est, en1895, le constat effectué par les organisateurs des concours du Figaro et des magasins du Louvre qui avaient pour objet d'inventer la voiture du futur.
"le jury est un peu décontenancé de la sagesse excessive et de la banalité de la plupart des envois." -Locomotion terrestre-
Certains prototypes du concours du Figaro s'inspiraient carrément de voitures du XVIII°, le chauffeur étant positionné à l'arrière, juste au dessus du moteur.
Ceux du concours des magasins du Louvre étaient également si peu novateurs que les trois premiers prix ne furent même pas décernés. Un seul modèle, par ailleurs le projet le mieux noté (de M Pierre Selmersheim), détonne parmi un panel de voitures aux formes désuètes et anciennes. Cette option aérodynamique n'inspirera les constructeurs que plusieurs années plus tard.
- Les limites techniques du début.
L'utilisation d'un moteur transversal arrière sans transmission directe limitait les options.
De plus, ce moteur et sa position présentaient de nombreux inconvénients. Caché dans le dos ou sous le siège des voyageurs, il provoquait des trépidations et du bruit, sources d'un certain inconfort. Cette position déséquilibrait également le véhicule en portant le poids à l'arrière..
L'ingénieur Levassor proposa donc une solution révolutionnaire en plaçant le moteur bicylindre Daimler transversal à l'avant du véhicule. Ce moteur, caché dans un caisson sous-baissé, pouvait, du moins vu de face, apparaître comme un pare-crotte.
Mais cette innovation ne trouvait qu'une très modeste clientèle, ce qui faisait dire à Levassor::
"Il sera moins difficile de faire marcher nos voitures que de les faire acheter."
Il ne touchait qu'une clientele limitée malgré sa volonté de se rapprocher des formes habituelles. Ainsi disait-il, en1893:
"Nous avons toujours cherché à nous rapprocher le plus possible de la construction ordinaire et à donner à nos voitures une forme courante"
Pour répondre aux attentes du marché, Levassor, tout en continuant la production des voiturettes à moteur apparent, fit aussi machine arrière en construisant, conjointement, des voitures à moteur transversal totalement dissimulé.
Il imagina même, sans succès, une sorte de mécanisme qui permettait d'adapter le moteur transversal à l'arrière de voitures existantes.
Daimler, en développant vers 1892 un moteur bicylindre en ligne aux performances jusque-là inégalées, révolutionna la production automobile.
En effet, Levassor installa ce long moteur à l'avant de ses voitures en ayant soin de lui procurer un logis aux formes acceptables avec face supérieure plongeante et coins coupés à l'avant: le capot était né.
La réussite de ses voitures dans toutes les compétions sportives amena les concurrents de Levassor à adopter le moteur vertical à l'avant pour leurs propres véhicules. La recherche constante de la vitesse nécessita de plus gros moteurs de plus en plus puissants et visibles.
Devant les performances de ces nouveaux véhicules, les utilisateurs les plus réticents en vinrent progressivement à les accepter. Si la présence du capot à l'avant se généralisa, la carrosserie de la caisse s'inspira pendant longtemps de la carrosserie hippomobile.
L'empreinte hippomobile est d'ailleurs encore présente dans la nomination de nos voitures; coupés, berline,...
Nous terminons cet article en vous présentant, en dessins, les différentes phases de cette double évolution technique et culturelle.
Voiture à moteur transversal arrière.
Conduite interieure
Les moteurs transversaux placés à l'avant
Moteur vertical placé à l'avant.
En montant en puissance, le moteur devient de plus en plus visible.
Texte:
P Magnaudeix
Photos:
François Vanaret, Patrick Magnaudeix
Documentation:
Le petit journal du 18 août 1894
Voitures automobiles; Trente deux études de carrosserie
Fond Mercedes Benz
La locomotion terrestre
Catalogues Panhard Levassor 1892
Catalogues Panhard Levassor 1893-95?
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