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Un vestige du carrosse du sacre de Louis XVI
identifié par Rudolf H. Wackernagel
Texte de Jean-Louis Libourel à partir des travaux de Rudolf H. Wackernagel :
Une condamnation sans appel
Le 21avril 1794, le député du département du Lot, Monmayau, membre du conseil des cinq cents, déclarait devant la Convention nationale : « Il est temps de balayer les restes impurs de la tyrannie ; il est temps d’en faire disparaître tous les signes et tous les attributs ; il ne faut pas qu’il en reste le moindre vestige. Vous connaissez, citoyens, les précautions que l’on prend pour arrêter la maladie pestilentielle des chevaux morveux ; on s’empresse de les assommer, de livrer aux flammes leurs harnais et leurs râteliers, et de purifier par le feu les écuries qu’ils ont habitées. Je viens, au nom de votre comité d’aliénation et des domaines, vous proposer de purifier également la maison appelée les Petites Ecuries du ci-devant tyran. Il existe dans cette maison […] plusieurs voitures provenant de la ci-devant liste civile, entre autres, celle dite du sacre. Cette voiture, monstrueux assemblage de l’or du peuple et de l’excès de la flatterie, est invendable, soit par sa forme colossale, soit par l’énorme réunion de tous les attributs de la féodalité et de la bassesse que des hommes libres doivent se hâter d’anéantir. En l’exposant en vente, la vue de cet indigne monument insulterait à la majesté du peuple en lui rappelant les triomphes impies des oppresseurs que sa justice vengeresse a frappés, et il serait possible que des aristocrates vinssent y mettre un prix excessif dans l’intention perfide de conserver quelques débris de la royauté. Il existe également, dans cette maison, beaucoup de traîneaux qui servaient aux délassements d’une cour corrompue […]. Ces traîneaux représentent des lions, des tigres, des léopards et des aigles ; en général, ils sont l’effigie du caractère de ceux qui s’en servaient. Il en est un surtout, dont l’aspect fait frémir la nature ; il représente deux nègres attelés à un char comme de vils animaux, et celui-là, peut-être, devrait être brûlé en présence des noirs qui se trouvent à Paris ».
A la suite de cette diatribe, la Convention nationale décréta la destruction du carrosse du sacre : « La voiture dite du sacre sera dépecée : les matières d’or et d’argent qui en proviendront seront envoyées à la trésorerie nationale. Tous les cuivres portant l’empreinte de la royauté seront dédorés pour être versés dans la fonte des canons. Les ornements, cuirs, soupentes et ressorts […] seront vendus. Le comité d’instruction publique fera examiner les peintures des panneaux de ladite voiture, et constater si lesdits panneaux méritent d’être conservés comme monuments d’art ; dans le cas contraire, lesdits panneaux seront brûlés. Les mesures ci-dessus prescrites s’étendront également aux autres voitures du même genre qui ont servi au grand-père, aux sœurs et à la fille du dernier tyran ».
Ce carrosse, honni par les révolutionnaires comme symbole de la tyrannie monarchique, était le dernier grand carrosse d’apparat construit en France sous l’Ancien Régime pour le sacre de Louis XVI à Reims le 11 juin 1775.
Un carrosse « superbe, singulier et immense »
Cet énorme voiture, somptueusement décorée de sculptures et de peintures, montée sur un train de carrosse « un peu vieilli de mode, très long, avec de grandes roues postérieures […] et une caisse sans ressorts à cause de son poids » selon l’avis du carrossier strasbourgeois Ginzrot, constituait en 1775 une sorte d’archaïsme sur le plan typologique. En effet, depuis longtemps les berlines de gala avaient supplanté les carrosses, totalement démodés. Garsault le constatait dès 1756 dans son Traité des voitures : « On ne voit plus guère de ces derniers [les carrosses] que chez le roi et pour les cérémonies », et Roubo en 1771 dans son Art du menuisier-carrossier, déplorant leur quasi disparition, plaidait pour leur réhabilitation : « Je crois que pour le roi ou les très grands seigneurs, on ferait très bien d’en faire usage [des carrosses] surtout dans les cérémonies d’éclat, où ces voitures apporteraient plus de magnificence que toutes les autres, étant de plus très naturel que tout ce qui appartient aux princes se ressente de leur grandeur, et que leurs voitures ne soient pas semblables à celles des particuliers, comme cela arrive tous les jours ».
Archaïque quant à sa structure, cette voiture adoptait par ailleurs l’une des nouveautés majeures de l’époque : les panneaux arasés. Montés bord à bord de manière à recouvrir les pieds d’entrée et les montants de portière, les panneaux arasés, apparus au milieu des années 1760, rendaient invisible toute division verticale et formaient une surface unie et continue sur toute la longueur de la caisse, libérant ainsi la peinture du cadre étroit imposé jusqu’alors par les montants : désormais, les représentations historiques ou allégoriques pourront couvrir en une seule scène continue toute la longueur de la caisse.
Johann Christian Ginzrot : « Voiture du sacre de Louis XVI à Rheims 10 juin 1775 » d’après le dessin de Louis Prieur, inversé et allongé (Die wagen und Fahrwerke der Griechen und Römer und anderer alten Völker nebst der Bespannung und Verschiedenem Völker des Mittelalters, 1830, pl. XXIX b).
Ce carrosse « superbe, singulier et immense, d’un effet éclatant » selon le témoignage du duc de Croÿ, avait été réalisé par le maître sellier-carrossier Etienne à partir de projets conçus par Jean-François Bélanger, dessinateur connu dans le monde de la carrosserie. Son très riche et abondant décor de bronze et cuivre dorés était l’œuvre de Louis Prieur, sculpteur, ciseleur et doreur du roi. Les quatre génies en bois doré sculptés aux angles de la caisse et la statue de Minerve en ronde-bosse couronnant l’impériale avaient été exécutés par Daniel Aubert, peintre et sculpteur du roi. Les peintures allégoriques des panneaux étaient l’œuvre de Jacques Chevalier, jeune peintre d’histoire, alors peu connu. Les Frères Pierre-Jean et Félix Brochant, appartenant à une dynastie de négociants en étoffes précieuses réputée depuis 1615, avaient fourni le somptueux velours cramoisi pour la couverture de l’impériale, la garniture intérieure, la housse du siège de cocher et le revêtement des soupentes.
Détruit en 1794 par décision de la Convention nationale ce « carrosse d’une grandeur inhabituelle » (Ginzrot – Il mesurait environ 7 mètres de long) est cependant connu grâce à un dessin de Louis Prieur, gravé en 1783, représentant l’élévation gauche du véhicule et grâce à la description détaillée donnée par Johan Christian Ginzrot dans un ouvrage publié plus tard, en 1830, Die wagen und Fahrwerke der Griechen und Römer und anderer alten Völker nebst der Bespannung und Verschiedenem Völker des Mittelalters.
Une destruction méthodique
Le peintre Jacques-Louis David (1748-1820) chef de file du mouvement néo-classique, député à la Convention, fut mandaté comme expert pour examiner les peintures du carrosse. Il ne les jugea pas dignes d’être conservées. Doit-on croire l’anecdote selon laquelle David, traversant une cour où le carrosse avait été relégué dans l’attente de sa destruction, aurait biffé avec la pointe d’un couteau les panneaux qu’il estimait de mauvais goût ?
Probablement peu après le décret de la Convention nationale, le carrosse fut dépecé dans les anciennes Petites Ecuries rue Saint-Nicaise, pour en retirer l’or et tous les métaux réutilisables. Tout ce qui restait fut ensuite entièrement détruit par le feu. Quant aux harnais pour huit chevaux, ils furent échangés contre des grains à l’étranger. Ainsi disparut le dernier carrosse royal d’Ancien Régime. Et Ginzrot de constater avec regret : « Il ne reste pas un morceau de cette merveilleuse voiture […] détruite et pillée par une population en folie ». Il se trompait….
En effet, deux siècles plus tard, une découverte due au restaurateur en peinture et principal historien de l’art de la carrosserie, Rudolf H. Wackernagel, révélait qu’un élément du carrosse avait échappé à la fureur révolutionnaire : le panneau de la portière gauche.
Une identification inattendue
En 1990, le Musée jurassien d’Art et d’Histoire de la ville de Delémont, dans le Jura Suisse, confiait pour le restaurer un panneau peint à Rudolf H. Wackernagel. Acquis par le Musée en 1946, ce panneau provenait de la famille Béchaux à Porrentruy, dont un membre, Sébastien-Auguste Béchaux séjournait à Paris durant les années révolutionnaires. C’est vraisemblablement lui qui ramena ce panneau de Paris dans le château familial de Porrentruy, proche de Delémont. Le panneau fût alors répertorié dans les collections du Musée comme portière d’un carrosse qui aurait appartenu au prince-évêque de Bâle Simon Nicolas de Montjoie (1726-1775), peinte d’une allégorie attribuée, à tort, à François Boucher ou à son atelier.
Rudolf H. Wackernagel devant le panneau de la portière gauche, le 16 mars 2012 pour l’inauguration de l’exposition Roulez carrosses !
Sa grande connaissance des carrosses royaux français, sujets de sa thèse-référence publiée en 1966, la confrontation du panneau avec le dessin de Louis Prieur représentant l’élévation gauche du carrosse du sacre de Louis XVI, l’analyse de la peinture allégorique de Jacques Chevalier figurant le roi Louis XVI en empereur romain accueillant la France entourée des Vertus cardinales, l’Abondance, la Justice et la Vigilance, permirent à R. H. Wackernagel d’identifier en 1991, sans erreur possible, ce panneau comme celui de la portière gauche du carrosse du sacre de Louis XVI, détruit en 1794. Sa restauration a été réalisée entre 1992 et 1994.
On ne saura sans doute jamais qui, au péril de sa tête, réussit à subtiliser ce panneau. Un amateur de peinture ? Un royaliste ? Grâce à son audace, nous pouvons admirer aujourd’hui ce vestige unique dont Rudolf H. Wackernagel, grâce à son immense érudition, nous a révélé l’origine prestigieuse et la tragique histoire.
Prêté par le Musée jurassien d’art et d’histoire de Delémont, ce panneau de portière miraculeusement sauvé a été présenté dans l’exposition Roulez carrosses ! au Musée des Beaux-Arts d’Arras en 2012-2013 devant une représentation du carrosse agrandie à la taille réelle de la voiture à partir de la gravure de Louis Prieur.
Le panneau présenté à son emplacement devant le dessin de Louis Prieur agrandi à la dimension réelle du carrosse dans l’exposition Roulez carrosses ! à Arras en 2012
Les admirateurs de Marie-Antoinette seront déçus de savoir que ce panneau, si précieux qu’il soit, n’a pu être frôlé par le bas de la robe de leur reine vénérée à sa montée ou à sa descente du carrosse, car, étiquette oblige, la place d’honneur dans une voiture étant à droite, montée et descente s’effectuaient par la portière droite….. Cela n’enlève rien à la valeur historique de ce petit panneau de bois peint, de 85,5 cm sur 86 cm, puissant évocateur à la fois de la carrosserie du XVIIIe siècle, des fastes du sacre royal, de l’art pictural néo-classique, de la terreur révolutionnaire, de la chute de la monarchie, et de la fin sanglante de Louis XVI et Marie-Antoinette, derniers souverains d’Ancien Régime.