Vous trouverez une présentation très accessible des articles de vos "THEMES FAVORIS" dans le répertoire ci dessous.
Au début du XIX°, la pratique des différents métiers liés à la sellerie, bien que libérée des contraintes des corporations du XVIII°, relève d'une organisation du travail très artisanale. Les selliers et harnacheurs, s'appuyant sur des dessins d'atelier, proposent des modèles qu'il réalisent à façon, en adaptant leurs réalisations aux attentes spécifiques de leur clientèle. Les éléments métalliques sont le plus souvent fabriqués en sous-traitance par des ateliers spécialisés; éperonniers, fabriquants en bouclerie,... proches du lieu d'activité du sellier. Pour les selliers garnisseurs, l'élaboration d'une voiture s'établit en co-traitance avec charrons, menuisiers en voitures, peintres sculpteurs,... Au début du XIX°, cette fabrication traditionnelle coexiste progressivement avec d'autres modes de fonctionnement:
-Afin de mieux contrôler la qualité de leurs productions, certains entrepreneurs, bénéficiant d'un fort apport en capital, regroupent tous les métiers nécessaires à leurs fabrications dans un même lieu.
-Profitant de la libération de la création d'entreprise, d'autres professionnels, de plus en plus nombreux, ne maîtrisant pas obligatoirement toutes les compétences techniques, créent leur propre atelier. Ils cherchent à obtenir, à un coût raisonnable, les fournitures nécessaires à la réalisation de leur propres productions ou à la maintenance et l'entretien des harnais ou voitures de leur clientèle. C'est le cas, par exemple, d'un petit atelier de sellier qui ne maîtrise pas la fabrication d'un corps de collier anglais.
Au deuxième tiers du XIX° siècle, ou peut être avant, des fabriques s'organisent pour répondre aux attentes de cette clientèle. Ces manufactures, regroupant en leur sein les différents métiers, réalisent leurs propres articles; d'utilisation courante et de luxe. Elles profitent de leur force de production pour confectionner et commercialiser les fournitures répondant aux attentes des autres professionnels. Ainsi émerge, plus précocement que l'on ne le pense généralement, la pratique de nombre de selliers; harnacheurs, garnisseurs, carrossiers,... consistant à intégrer dans leurs propres productions des éléments fabriqués en série par des fabriques, donc relevant d'une certaine "standardisation".
La bibliothèque de Paris conserve, dans ses archives, un document daté de 1840 qui semble attester de l'existence d'entreprises fabriquant des "pièces détachées", au minimum dans les années 1830. Il s'agit d'un catalogue de vente de la sellerie parisienne Liègard frères.
Avant d'aller plus loin dans la description du fonctionnement de cette maison, je vous propose de découvrir quelques extraits de ce catalogue.
Catalogue Liègard frères
Un catalogue commercial vise à dynamiser la vente. Il se définit comme un inventaire des produits qu'une entreprise met à la disposition de ses clients. . Imaginé au XV° siècle par les imprimeurs pour promouvoir la vente de leurs ouvrages, il s'étendra à partir du XVIII° à d'autres secteurs commerciaux avec, comme exemple célèbre, le catalogue de vente par correspondance Vilmorin, souvent cité comme le premier en France, créé en 1766 par le couple Claude et Pierre Andrieux, propriétaires de la graineterie "Au roi des oiseaux", et leur fille Adélaïde, épouse du botaniste Philippe-Victoire de Vilmorin.
Il est donc envisageable de penser que ce type de document ait été utilisé dans les secteurs de la carrosserie et de la sellerie dans la première moitié du XIX° siècle en soulignant que, vu le coût de ce type d'imprimé, son utilisation se limite aux entreprises d'une certaine importance. Cela semble le cas de la fabrique de sellerie Liègard frères qui a une bonne renommée renommée. "MM Liégard frères ont rendu un véritable service à la consommation générale, en poussant la fabrication de la sellerie dans la voie du progrès" -Rapport jury, exposition de Paris 1839-
L'entreprise obtiendra des médailles d'argent aux expositions de Paris, en 1839 et 1844, et de Londres en 1851.
Ce catalogue n'est pas un simple inventaire des fabrications disponibles en magasin mais un outil de vente par correspondance destiné aux professionnels français ainsi qu'à l'exportation. Une publicité plus tardive du début des années 1850 stipule que l'entreprise édite et envoie également, en complément du catalogue, un "Guide régulateur du sellier harnacheur indiquant les mesures et tailles ainsi que les tarifications.
Publicité plus tardive,(l'entreprise est alors seulement dirigée par Hyacinthe) précisant les secteurs professionnels que l'entreprise approvisionne.
Outre sa précocité et sa fonction de vente à distance, ce catalogue étonne par la modernité de sa présentation, les multiples états de finition et la diversité des articles proposés:
-La modernité de sa présentation:
Cette publication commerciale n'a rien à envier dans son accessibilité (chaque article est nommé dans la marge et dispose d'un numéro) aux publications plus tardives même du début du XX° comme, par exemple, le catalogue de l'entreprise de fournitures en sellerie et carrosserie Renault.
Catalogue d'éléments de carrosserie (Ets Renault) - attelage-patrimoine
Eléments de carrosserie hippomobile (Ets Renault) Pour un collectionneur, trouver un élément manquant ou détérioré (cuir, visserie, accessoire,...) pour restaurer sa voiture n'est pas toujour...
https://www.attelage-patrimoine.com/2014/11/catalogue-d-elements-de-carrosserie-ets-renault.html
Catalogue d'éléments de sellerie (Ets Renault) - attelage-patrimoine
Catalogue d'éléments de sellerie, bourrellerie (Ets Renault) 1902 Nous vous diffusons la partie sellerie, bourrellerie et équipement d'écurie du catalogue de la maison Renault dont nous vous av...
https://www.attelage-patrimoine.com/2014/11/catalogue-d-elements-de-sellerie-ets-renault.html
-Les multiples états de finition:
Il présente des articles finis, achetables par la clientèle privée directement ou par l'intermédiaire de revendeurs, comme les marchands en équipages, mais propose également aux autres professionnels du secteur; sellier, carrossiers, malliers,... l'ensemble des fournitures et pièces manufacturées nécessaires à leurs propres réalisations.
-La diversité des articles proposés:
Ce catalogue couvre l'ensemble des activités liées aux travaux et réalisations de sellerie; selles, objets d'écurie, harnais, articles de chasse, bagagerie de voyage, matériels liés au garnissage et à la finition des voitures y compris les lanternes; "ils confectionnent dans leurs ateliers tous les objets relatifs à cette partie, et qu'il sera trop long d'énumérer" -Rapport jury, exposition de Paris 1839-
Pour faciliter la lecture, vous ne trouverez, ci-dessous, que les pages concernant spécifiquement les pièces liées à l'attelage; harnachements, éléments de garnissage et de finition des voitures. Vous pourrez découvrir, en annexe* de ce texte, quelques exemples de planches concernant la sellerie, la chasse et la bagagerie ainsi qu'un lien vers le catalogue complet.
Articles liès à la confection des harnais d'utilisation courante et de luxe
Articles liés au garnissage et à la finition des voitures
Cette entreprise a donc, fin 1830, une production de fournitures de carrosserie et de sellerie qui, en diversité, est pratiquement au même niveau que les catalogues de la fin du XIX°, début XX° siècle. Il faut noter que Liégard frères éditait également des catalogues spécifiques à certaines de ses productions comme ce catalogue d'éperonnerie daté de 1850 que vous trouverez en annexe.**
Des articles de journaux, publicités, rapports d'exposition,... nous donnent quelques informations sur le fonctionnement de cette entreprise.
Fabrique de sellerie Liégard Frères
C'est, avant tout, une fabrique importante dont les bâtiments occupent à Paris l'ensemble de l'îlot placé entre la rue Sainte Catherine, au nord, et la rue Saint Antoine, au sud. Elle regroupe, dans ces lieux, l'ensemble des métiers et moyens nécessaires à ses fabrications ainsi que ses magasins.
L'entreprise a donc une activité de fabrication et de vente de ses productions qui, comme nous le verrons, se complète par une activité de "grossiste" en matières premières et autres fournitures pour les selliers et les carrossiers.
Activités de fabrication
En 1839, l'entreprise est enregistrée comme fabricant de sellerie. Elle ne produit aucun article lié aux secteurs industriels et agricoles, comme colliers de travail ou fournitures pour camions, mais se spécialise dans la réalisation de biens de qualité courante, destinés aux consommateurs des classes "moyennes", et dans celle de fabrications de luxe pour les grandes maisons bourgeoises. Comme nous l'avons vu avec la présentation du catalogue, son activité couvre un spectre très large des productions liées au travaux du cuir. Nous nous concentrerons sur les seules productions liées aux harnachements, au garnissage et à la finition des voitures.
Les comptes rendus des journaux et le rapport du jury de l'exposition nationale de Paris nous donnent quelques informations sur cette fabrique et ses réalisations. Ces différents écrits la présentent comme novatrice dans ses produits et son organisation ce qui laisse penser qu'elle a une existence récente dans la décennie en cours.
L'exposition nationale de Paris de 1839 est la première qui propose aux visiteurs des travaux de sellerie et de carrosserie. Pour les observateurs de l'époque, l'exposition est le témoin du renouveau de la sellerie française qui, jusque là, malgré les barrières douanières, est dominée par la sellerie anglaise. Certains citent en exemple la place qu'occupe la sellerie Liégard dans ce renouveau, ce qui est confirmé par l'octroi d'une médaille d'argent, la plus haute cette année-là en sellerie, donnée par le jury de l'exposition. Voici ce qu'en dit le journal économique "La France industrielle, manufacturière, agricole, artistique" du 15 Janvier 1839 :
"Jusqu'ici, les Anglais ont eu le monopole de la sellerie élégante et riche; dans la sellerie commune même, ils avaient la supériorité de prix. Eux seuls pouvaient fournir les peuples transatlantiques. Pour nous pauvres gens, nous en étions à peu près réduits à l'industrie du bourrelier et notre chef-d'œuvre c'était le collier d'un cheval de brasseur....Pourtant, nos ouvriers se formaient, le goût s'éveillait et quelques hommes intelligents s'attachaient à épurer les formes, à leur donner de la grâce, et tirant un meilleur parti des cuirs mieux préparés, mieux vernis, ont dépassé bientôt la sellerie anglaise prohibée, du reste à la frontière, mais qu'on savait bien se procurer. MM Liégard Frères ont apporté à l'exposition des selles, des colliers, des harnachements complets qui ont produit sensation et jeté le jockey-club dans le ravissement. Toutes ces pièces, en effet, réunissent la solidité à la légèreté et l'élégance, avec des prix à 35 et 40% au-dessous des prix anglais. Une jolie selle avec ses étriers blanchis, bride et bridon, tout cela bien confectionné et destiné à l'exportation, 35 fr. Les ornements de grande sellerie pour voitures de luxe sont de la bijouterie en plaqué exécuté en relief, travail difficile parfaitement obtenu; en sorte que jamais meilleure sellerie n'avait été fabriquée par des ouvriers français; jamais articles de cette élégance n'étaient sortis des selleries de l'Angleterre. Aussi, MM Liégard, qui expédient énormément aux Américains, déclarent-ils que la protection leur est inutile."
Le rapport du jury nous permet de découvrir quelques exemples des pièces exposées, qu'elles soient d'utilisation courante ou de luxe, qui ont séduit le jury par leur qualité d'exécution et leur prix.
"Dans leur exposition, on a remarqué, entre autres, le grand harnais garni en fer argenté et plaqué, qui est d'une exécution parfaite et qui présentait des difficultés de fabrication: à son prix de 3000 fr, il serait plus de 30% meilleur marché qu'en Angleterre où il serait, assure-t-on, payé 4500 à 5000 fr. Les autres articles offrent des différences moins fortes parce qu'ils sont le résultat d'une fabrication courante: une selle anglaise unie, avec bride tout équipée, est cotée chez eux 32 fr et en Angleterre 50 fr, pour la même qualité; une selle fine, matelassée équipée, 89 fr au lieu de 140fr;... enfin, les harnais de cabriolet , noirs, simples, 75, 90 et 100 fr au lieu de 100, 115 et 125 fr en Angleterre."
Comme dans l'article de presse cité précédemment le jury insiste sur l'importance de la fabrique; "grand atelier" et sur l'extrême qualité de ces réalisations "Depuis les articles les plus simples jusqu'à ceux décorés avec luxe, tout est établi avec la même perfection et à des prix qui peuvent entrer en concurrence avec des objets analogues que nous faisions venir du dehors."
Liégard frères est donc une fabrique qui, par le regroupement dans un seul lieu de tous les métiers et fabrications complémentaires (bouclerie, sellerie, ...), assure un meilleur contrôle de la qualité de ses réalisations. Cette nouvelle organisation de certaines entreprises est, comme je l'ai cité précédemment, un des effets de l'abolition des corporations. Dans le monde de la sellerie carrosserie, elle émerge dès la fin du XVIII° siècle avec, par exemple, le carrossier Simons en Belgique. Elle perdurera dans la carrosserie de luxe tout au long du XIX°. La qualité des articles produits par cette maison s'appuie également sur le choix des matières premières; Liégard frères n'utilise que des cuirs français, et la haute qualification de ses employés. Ce sont des ouvriers spécialisés en leur domaine qui ont des salaires journaliers de 4 à 8 fr, rémunération nettement supérieure à la moyenne des salaires de ces activités. L'article de presse nous parlait des éléments d'ornementation pour harnais de luxe. Ces photos de l'élaboration de tels objets, réalisés de nos jours par la maison de sellerie et restauration Dorantes, vous montrent la technique utilisée qui ne peut être réalisé que par des ouvriers d'une grande technicité, pour ne pas dire des artistes.
Une autre particularité de cette fabrique est une nouvelle méthode d'organisation qui s'écarte de celle de l'artisanat traditionnel. "Toutes ces différences sont dues à la bonne répartition du travail et à la direction bien entendue des ouvriers." -Rapport du jury exposition 1839.
Cette restructuration (pour ne pas dire "industrialisation" car il n'y a pas encore de mécanisation) des méthodes de production permet de réaliser des modèles "standards" en quantité conséquente, tout en réduisant les temps de production. La politique commerciale, s'appuyant sur la publicité et l'édition du catalogue, permet d'élargir le volume des ventes ce qui participe également à la baisse des prix.
Activités de commerce
La maison Liégard frères commercialise directement ses articles au public. Elle a également ce second marché qui est celui des différents artisans de la carrosserie et de la sellerie mais aussi celui des revendeurs et réparateurs.
Les encarts publicitaires, ci-dessous, nous montrent que les selliers pouvaient se procurer chez Liégard frères, en plus des articles de la fabrique, la quasi totalité, hormis les pièces de forge, des matières premières nécessaires à la fabrication des selles, harnais ou bagages; peaux, arçons, draps, bouclerie,... outils d'atelier.
En ce qui concerne la carrosserie, l'entreprise fournit, comme nous l'indique le catalogue, tous éléments nécessaires au garnissage à la finition des voitures; poignées, boutons, ferrures de capote,... mais, plus largement, la majorité des articles; peintures, vernis, moquettes,... Plus étonnant encore, ce sellier propose à la vente des caisses de voitures et des brancards.
Ces dernières propositions commerciales, qui ne sont pas dans le champ d'activité de la fabrique, montrent qu'elle assure également une activité marchande de grossiste en toutes fournitures et matières premières sauf le bois brut et les pièces de grande forge.
Cette entreprise semble donc, à la fin des années 1830, très implantée sur le marché parisien et français mais également sur celui de l'exportation. Cette notoriété perdurera durant la décennie suivante ce qui est confirmé par ses médailles d'argent, obtenues aux expositions de 1844 à Paris et 1851 à Londres. Elle n'est cependant pas présente à l'exposition de 1855.
La dernière trace que j'ai trouvée de la sellerie est une publicité, parue dans la "Tribune militaire" de 1854, sur la vente de selles, harnachements,... pour officiers. Elle est éditée par la sellerie Liégard Hyacinthe, domiciliée à la même adresse.
Mais avec la semble t il disparition de cette entreprise, ce marché émergeant ne s'est pas arrêté pour autant et d'autres fabriques et commerces de fournitures furent créées à la même époque comme l'entreprise Renault, déjà citée, fondée en 1847.
Dans ces années 1830 existent également d'autres prestataires de fournitures spécialisés eux dans les travaux de menuiserie; caisses, brancards, roues et travaux de forge lourde; essieux, ressorts, ferrures de caisse. C'est le cas, par exemple, des forges de Persan créées en 1832. Donc, dès le deuxième tiers du XIX° siècle, les professionnels de la carrosserie et de la sellerie peuvent trouver l'ensemble des fournitures et pièces manufacturées nécessaires à leur activité. Ce marché des fournitures manufacturées prendra une telle importance qu'à la fin du siècle certains commentateurs, comme ceux du "panthéon de l'industrie" en 1893, dénonceront l'existence d'un grand nombre de carrossiers qui ne sont, en fait, que de simples assembleurs de pièces standardisées.
"Beaucoup de chefs de maisons qui se livrent à l'art si compliqué de la construction des voitures, effrayés par l'énorme variété des matières qu'il est nécessaire d'utiliser et, plus encore, par la variété des opérations qu'il faut leur faire subir, ont pris le parti d'emprunter à un grand nombre de maisons spéciales les différentes catégories de pièces qu'ils ont à utiliser, et de borner, en quelque sorte, leur propre spécialité à l'assemblage des mêmes pièces." -Panthéon de l'industrie 1893-
Ces mêmes commentateurs s'interrogent sur la fiabilité et la qualité de voitures ainsi construites.
De nos jours, ce constat amène tout collectionneur à interroger ses certitudes sur la qualité de ces chères reliques. Ceux qui se rassurent par la haute renommée du fournisseur de pièces ne doivent pas oublier qu'une même maison fournissait à sa clientèle la même pièce en différents niveaux de qualité, différenciés par le prix et, quelquefois, par des marques comme le montre cette page du catalogue Lemoine de 1902.
Texte
Patrick Magnaudeix
Documentation:
Catalogue Liégard Frères source Bibliothèque de Paris BNF Gallica
Encart publicitaire Liégard Hyacinthe
Encart publicitaire Liégard frères.
Revue "La France industrielle, manufacturière, agricole, artistique", du 15 Janvier 1839
Compte rendu du jury exposition nationale de Paris 1839
Panthéon de l'industrie 1893
Tribune militaire 1854 (source gallica)
*Annexe
Quelques exemples des planches présentant les autres catégories d'articles de sellerie du catalogue.
** Annexe
Qulelques planches du catalogue d'éperonnerie; mors, étriers,... de 1850.