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Voir la voirie des grandes villes encombrée de voitures de travail, comme les fardiers, fait partie intégrante du vécu quotidien de nos aïeux. C'est particulièrement le cas des Parisiens qui ont vécu la transformation architecturale de leur ville sous Napoléon III.
Dessin de N. Linton représentant la circulation du "nouveau Boulevard" devant l'établissement des magasins réunis (Paru dans le monde illustré du 30 Mars 1867)
Ce dessin de 1867 nous donne une confirmation de la présence importante des voitures de charge dans les rues de Paris sous le second empire. Circulant entre omnibus, voitures de maîtres ou fiacres, vous découvrez en premier plan un fardier à pierre (voiture que nous vous avions présentée dans l'article "Pierre qui roule" d'Etienne Petitclerc),
En arrière plan, un trinqueballe à pierre dit "éfourceau" avec ses deux grandes roues caractéristiques de près de trois mètres de haut; les sauterelles et son grand bras de levage ( voiture que nous vous avons présentée dans l'article "Trinqueballe et Logging wheels" de Patrick Magnaudeix).
Placé entre ces deux véhicules se trouve un arbre haubané sur son fardier.
Il faut s'imaginer que, pour agrémenter les parcs parisiens et créer des alignements d'arbres tout au long des boulevards et autres nouvelles voies de circulations, de nombreux équipages de ce type furent employés. Par la suite, cette politique de plantation s'est développée dans l'ensemble des villes de France. Pourtant, de nos jours, il ne reste en France aucun de ces fardiers destinés au transport d'arbres. Du moins, le pensais-je jusqu'à la découverte d'un tel véhicule dans les remises du loueur de voitures de cinéma; Patrick Kesteloot.
Le plus étonnant est que ce rustique véhicule est complet dans un bon état d'origine et prêt à être de nouveau utilisé. Avant de vous le présenter, j'aimerais profiter de cette découverte pour resituer l'histoire de ces voitures à transporter les arbres ainsi que décrire les différents modèles utilisés.
Le besoin de déplacer les arbres semble remonter à l'antiquité avec la création de lieux éclairés, faisant fonction de serre, pour faciliter l'acclimatation des orangers et citronniers. Plus tard, ils seront nommés sous le terme générique d'orangeries. Mis sous abri l'hiver, les arbres sont sortis à la belle saison. D'après Quatremère de Quincy, cette pratique s'est généralisée en Italie à l'époque d'Adrien avant de pénétrer en France par la Provence et le Languedoc. Dans "Voyage pittoresque dans les environs de Paris", Antoine Dézailler d'Argenville, auteur du XVII° siècle, note la présence d'orangeries dans presque tous les châteaux. Quant à lui, Jean-Baptiste de La Quintinie, concepteur du potager du roi, présente l'orangerie comme un élément de prestige indispensable à toute villégiature. Ces orangeries son vidées l'été de leur caisses d'orangers, citronniers et autres arbres exotiques pour devenir des galeries ombragées parfois décorées de tableaux et sculptures où il fait bon se promener. Ces manutentions nécessitent l'utilisation de véhicules adaptés au transport des caisses.
Les voitures pour caisses d'orangers
Nous en trouvons plusieurs modèles à deux, trois et quatre roues.
- charrettes à deux roues:
Cette charrette a la particularité de ne pas avoir d'essieu central qui empêcherait le passage de la caisse. Grâce à deux coudes fixés sur des montants latéraux renforcés, l'essieu est décalé sur l'avant. Sur ce simple châssis sont disposés un treuil fixe à l'avant et un à l'arrière qui est amovible. Une fois le treuil arrière retiré, la voiture est reculée jusqu'à la caisse sous laquelle sont glissées deux barres métalliques munies de crochets à leurs extrémités. Le treuil est alors replacé. Les 2 treuils sont équipés de chaines que l'on relie aux barres métalliques passées sous la caisse. Les manivelles placées sur les montants du chassis permettent de remonter la caisse à la hauteur désirée.
Voici une autre voiture à deux roues, aux treuils fixes disposés de façon latérale. Les modalités de chargement des caisses sont les mêmes que pour la voiture précédente. Une barre transversale amovible placée à l'arrière solidarise les deux montants du châssis. Un astucieux système d'engrenage permet de mouvoir les manivelles.
Les particularités techniques de ces voitures dédiées, initialement, au transport des caisses d'orangerie leur permet, moyennant quelques adaptations, de déplacer également des arbres en motte lors de leur transplantation. Les mottes sont préparées de telle façon que les racines sont protégées par une sorte de caisse formée par des douves: "On creuse une tranchée circulaire large d'environ 80 centimètres pour une profondeur d'environ 1 mètre. La motte est ceinturée de cordes, puis on glisse des douves, écartées entre elles de 4 à 5 centimètres, entre ces cordes et la motte. Les cordages sont successivement, depuis le bas, remplacées par des cercles. Des traverses sont enfin clouées sur la partie supérieure pour maintenir, à la façon d'un couvercle, le bac ainsi formé. Il faut maintenant miner, sous les racines, l'espace nécessaire à l'engagement de deux forts plats bords à l'extrémité desquels on place des chaines qui serviront plus tard au levage." -Etienne Petitclerc dans Attelées-
Ce modèle est équipé pour pouvoir également recevoir un bac à eau dédié à l'arrosage.
-Chariots à trois roues:
Ce modèle est doté de deux roues latérales fixées chacune sur deux arceaux métalliques et d'une petite roue avant mobile fixée de la même manière. Comme nous le verrons ultérieurement, les voitures à quatre roues sont également dépourvues d'un essieu à l'arrière. Il est remplacé comme ici par un système de fixation individuelle des roues.
-Chariots à quatre roues:
Un de ces chariots de transport de caisses d'orangers est conservé au musée des voitures du château de Vaux le Vicomte. Comme pour le véhicule précédant, il est dépourvu d'essieu à l'arrière pour libérer l'emplacement de la caisse à transporter. Chacune des roues du train arrière est placée entre deux forts triangles métalliques fixés sur les brancards de caisse de la voiture, eux mêmes renforcés de plaques métalliques.
Sur cette photo, on discerne l'ensemble du système de levage activé par quatre crémaillères latérales munies de manivelles.
Les différentes voitures d'orangerie et de jardin que nous venons de présenter sont, de par leur taille, limitées au transport de caisses ou arbres en motte de taille modérée. Mais, la transplantation d'arbres ne se limite pas aux parcs des maisons bourgeoises. Il y a d'autres lieux nécessitant le dé^lacement d'arbres adultes de grande taille.
Au XIV siècle, Charles V prendra la première initiative de planter des alignements d'arbres à l'entrée du cours des Célestins. En 1552, pour faire face à la pénurie de bois de chauffage dans Paris, Henri II ordonne à ses sujets " de planter...le long des voiries...si bonne quantité d'ormes qu'avec le temps notre royaume s'en voit bien et suffisamment peuplé".
Sous le règne d'Henri IV, la plantation d'alignement d'arbres est animée par la volonté de création de lieux de loisirs pour la noblesse. Ce sont les mails et les cours.
Le mail:
Le jeu de mail est un jeu de maillet, ancêtre du croquet, très à la mode parmi la noblesse. La pratique de ce jeu nécessite un terrain plat et protégé des ardeurs du soleil: le mail. Le plus couru est le mail de l'Arsenal créé en 1604. Long de 500 mètres et large de 6, il est bordé de deux rangées d'ormes et d'une troisième d'ormes et de mûriers, en bord de Seine.
Le cour:
C'est un lieu dédié à la promenade en carrosse. Le plus célèbre est celui construit à l'extrémité ouest du jardin des Tuileries. Marie de Médicis y fait planter 1600 ormeaux qui délimitent quatre larges allées: "On trouve, le long de ce beau fleuve, 4 grandes allées si larges, si droites et si sombres par la hauteur des arbres qui les forment, que l'on ne peut pas voir de promenade plus agréable que celle là" -Madame de Scudery dans Cyrus-.
Sous Louis XIV, des travaux sont réalisés pour assainir la ville moyenâgeuse avec la création de grandes avenues arborées, politique continuée par Louis XV. Les ormeaux se voient alors progressivement concurrencés par tilleuls et platanes. Malgré ces politiques de plantation, les arbres, à la fin du XVIII°, restent encore en périphérie de la ville, le long des boulevards, sur les promenades publiques et sur les routes et avenues qui mènent à Paris.
Jusqu'au second empire, les arbres continuent timidement leur entrée dans Paris. En voulant faire de Paris "la plus belle ville du monde", Napoléon III, par les grands travaux coordonnés par le baron Hausman, fait arborer les rues de Paris mais, également, développe et aménage des squares, parcs et bois. C'est ainsi que les Parisiens vont s'habituer à voir déambuler dans Paris des arbres, souvent de grande taille, transportés par de lourds fardiers.
Ces fardiers sont attelés en ligne avec de lourds chevaux de trait. Lors de la plantation, seul le cheval de limonière reste dans ses traits pour faire reculer avec précision le lourd véhicule.
Dessin de Crafty montrant l'opération de plantation avec les chevaux de volée désolidarisés de l'attelage, attendant le long du trottoir.
Les fardiers de transport d'arbres
Deux types de voitures sont principalement utilisés; des voitures à treuils latéraux et des voitures à treuils positionnés aux deux extrémités comme le fardier sujet de cet article.
Fardier à treuil arrière amovible:
Fardier à treuil à levier appartenant à Patrick Kesteloot.
C'est un modèle rustique, lourd, de grandes dimensions, entièrement construit en bois sans bardage de renforts métalliques.
Cette photo nous montre la voiture présentée avec une caisse suspendue pour visualiser l'importance des arbres qu'elle peut transporter.
Dans cet autre cliché du fardier à vide on peut discerner les importants brancards rangés sur le véhicule.
A l'image de l'aspect d'ensemble du véhicule, le train avant est de très fortes proportions.
Comme sur la voiture à caisse d'oranger de Vaux présentée précédemment, les roues du train arrière sont fixées entre deux triangles métalliques.
Dans la partie arrière, les deux côtés du fardier sont solidarisées par un treuil amovible et deux barres de fixation également enlevables. Ces deux photos montrent, en premier, le treuil et les barres dans leur position lors du déplacement du fardier et, sur le deuxième cliché, la barre du haut enlevée. Une fois ces trois éléments retirés, l'arrière du fardier est reculé vers le tronc de l'arbre à soulever.
Le véhicule en place, treuil et barres sont de nouveau remis à leur place initiale. La motte fixée aux chaînes du treuil, l'opération de levage peut commencer. Des barres de levier permettent de mouvoir chaque treuil.
L'arbre est haubané sur le fardier qui peut alors être déplacé.
Ce fardier totalement en bois avec un simple treuil à leviers est assez rustique. De nombreux autres modèles ont existé dont voici deux exemples.
Fardier équipé de bras de levier débrayable.
Grace à ces grands leviers débrayables, l'effort demandé aux hommes est moins important et le réglage des treuils plus précis.
Modèle bardé de tôle avec treuil à engrenage.
Ce fardier, entièrement bardé de plaques métalliques, est doté de systèmes d'engrenage mû par manivelle. C'est un dispositif qui, comme dans le modèle prédédent, allège l'effort du personnel et permet un réglage plus précis.
Fardiers à treuils placés latéralement:
La présentation et les modalités d'utilisation de l' exemplaire ci-dessous vous a été largement détaillée dans l'article "La forêt qui marche" d'Etienne Petitclerc
Pour plus d'information nous vous proposons donc d'ouvrir ci-dessous l'article cité.
"La forêt qui marche" - attelage-patrimoine
" La forêt qui marche " Au chapitre des étonnements hippomobiles du pavé parisien, observons un chariot très surprenant, un " convoi exceptionnel " dont plus d'un badaud s'est amusé, dont plus...
https://www.attelage-patrimoine.com/article-la-foret-qui-marche-106827566.html
Vu leur longueur, ces fardiers ont la particularité, par l'ajout de chandeliers de soutien reliés par un rouleau, de pouvoir faire incliner, dans l'axe, les arbres de façon importante permettant ainsi de limiter la prise au vent et d'éviter les obstacles aériens.
Tous ces fardiers et voitures d'orangerie ont été utilisés jusqu'à la moitié du XX° siècle, puis tracteurs et autres engins de levage les ont remplacés.
Texte:
Patrick Magnaudeix
Photos:
BNF Gallica, Hippothèse, collection de l'auteur, Etienne Petitclerc
Documentation:
"La forêt qui marche" Etienne Petitclerc
Au service du château Christophe Morin (2008)
Petite histoire des alignements à Paris du XIV° au XIX° Noelle Dorion.
Voiture mis à disposition par Patrick Kesteloot