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Cet article fait suite à une première partie dédiée à l'histoire et à la présentation des activités de la CGV.
La "Compagnie générale des voitures à Paris" est une entreprise qui gère en moyenne, à l'année, une cavalerie d'un peu moins de 12000 chevaux, un parc de voitures avoisinant les 6500-7000 véhicules (4500 en 1867, 6500 en 1881) et administre un personnel, tous postes confondus, de près de 7000 personnes (6815 en 1867). Elle se doit donc d'avoir les capacités d'hébergement adaptées à l'importance de son activité. Ce parc immobilier est un investissement considérable qui, comme nous l'avons vu dans la première partie, a grandement participé à faire frôler la faillite à la compagnie, alors nommée CIV, deux ans à peine après sa création.
En 1867, la société possède sur Paris 17 ha de terrains sur lesquels elle a fait construire des locaux administratifs, 19 dépôts et deux usines de construction de voitures. Elle loue, en outre, huit autres grands bâtiments et une trentaine de structures moins importantes destinées au stationnement des équipages de remise.
La CGV, de par son activité et la lourdeur de ses divers investissements, est une entreprise à la gestion complexe qui demande une organisation et une administration très structurées dont je vais vous décrire trois principaux aspects; l'approvisionnement, le fonctionnement des dépôts et la gestion du personnel.
Les différentes informations recueillies correspondent à des documents situés dans les années 1867-1880.
Approvisionnement de l'entreprise
La rentabilité d'une telle entreprise, qui par nature use voitures et chevaux et épuise un personnel travaillant entre 16 et 18 h par jour, réside, en premier lieu, sur les choix effectués dans les modalités d'acquisition et le renouvellement du parc de voitures et de la cavalerie auxquels s'ajoutent les achats liés à l'entretien de cette cavalerie.
Les voitures:
La CGV, dès sa création, après avoir acheté le parc existant de voitures de place, fait le choix de le renouveler en construisant elle même ses voitures. Elle complète sa propre production par l'achat de véhicules auprès de constructeurs extérieurs à l'entreprise. Ces achats concernent plus particulièrement les voitures de grandes remises et des voitures bourgeoises de qualité supérieure ou d'un usage spécifique comme les coachs.
La Compagnie générale des voitures a deux ateliers de construction. L'un situé Rue Stanislas, l'autre Rue du chemin vert. La conception des voitures est assurée par une équipe de techniciens qui s'appuient sur de nombreux travaux de recherche effectués en interne; calculs sur les efforts de traction, études sur l'allègement, l'équilibre ou la "roulabilité" des voitures. Pour certains véhicules, elle collabore ponctuellement avec des grandes maisons de carrosserie, comme nous l'avons vu précédemment avec le char à banc initié par Binder Ainé.
L'usine de la rue Stanislas, construite sur un terrain de 15000 m2, se présente en deux parties;
-l'une, réservée au traitement des matières brutes; grumes de bois, barres de fer
- l'autre, dédiée aux magasins de stockage (pièces ouvragées provenant de la scierie et de la forge, matières premières diverses) et aux ateliers de carrosserie et de fabrication de harnais proprement dits.
Forges et scierie.
L'âme de ces deux ateliers est une machine à vapeur de 20 chevaux qui actionne par courroies les différentes machines nécessaires à leur activité.
Forges:
La machine à vapeur actionne l'ensemble des machines outils de l'atelier; martinets, moutons, tours, perceuses, mais également les soufflets de la forge ainsi que le système d'aération des locaux.
L'ensemble des pièces métalliques qui concourent à la réalisation d'une voiture sont construites dans ces ateliers.
"c'est là qu'on coude les cols de cygne, qu'on assemble les ressorts, qu'on bat les essieux dont on tourne les fusées selon un calibre voulu." -Maxime Du Camp-
Cette photo d'un atelier de forge de la fin du XIX° nous donne une idée de ce que pouvait être celui de la CGV
Scierie menuiserie:
Comme les barres de fer, les troncs d'arbres sont acheminés par une voie de chemin de fer qui arrive au sein même de la cour de l'établissement. Les grumes, débitées en plateaux et séparées par des tasseaux, sont alors stockées pour une longue période de séchage. L'entreprise acquiert une très grande diversité d'essences de bois qui lui permet, ainsi, de réaliser aussi bien les pièces de structure de la voiture que les éléments décoratifs.
Ces bois sont donc œuvrés par les menuisiers qui utilisent des essences spécifiques à chaque pièce de voiture.
"Les essences sont différentes selon les parties: la carcasse est en frêne, les brancards en chêne ou en noyer, les panneaux en orme, la doublure de l'impériale de tôle est en sapin". -Maxime Du Camp"
Les pièces de forge et de menuiserie sont normalisées en fonction des types de voitures à construire: victoria, coupés,... et des modèles qui ont chacun un code d'identification. Terminées, elles sont stockées dans les magasins.
Les magasins:
Il sont situés au-dessus des ateliers de construction. Ils rassemblent, en quantités considérables, tous les éléments indispensables à la construction d'une voiture mais, également, tout ce qui est nécessaire à l'approvisionnement des équipages:
- Les matières premières de garnissage; draps et autres tissus de garnissage, passementerie, cuirs pour capote, cuirs pour bourrellerie, paillassons pour le sol,...
- les produits manufacturés; poignées de porte, mécaniques de store,... mais, également, bottes de fouets, musettes, couvertures pour chevaux, mors, lanternes,...
-les produits et pièces de voitures ouvragées dans les ateliers. Ces différents éléments sont étiquetés et classés suivant le modèle auquel ils correspondent.
A ce niveau sont donc déposés tous les éléments métalliques; ressorts, essieux, mécaniques de capote, visseries, boucleries,... Les éléments en bois, quant à eux, sont stockés dans les greniers qui sont plus aérés. Chaque modèle de voiture a un espace déterminé, composé de casiers correspondant au nombre de pièces spécifiques qui le composent. Un coupé 3/4 compte, par exemple, 163 casiers.
Les ateliers de montage se situent en-dessous.
Les ateliers de montage:
Ils intègrent deux entités:
-l'atelier de carrosserie:
Il assure la réalisation et la finition des voitures. Il se divise en plusieurs espaces différenciés; assemblage des pièces, peinture, pose des vernis,...
-l'atelier de garnissage et bourrellerie:
Il se divise en deux sections dont une s'occupe de la réalisation des cuirs de voiture; ailes, capotes ou garnissage et l'autre de la fabrication des harnais de la compagnie.
En 1867, les usines construisent déjà 500 voitures en moyenne par an. Elles produisent, également, un stock de pièces détachées permettant d'alimenter les ateliers d'entretien et de réparation présents dans chaque dépôt. En effet, une fois sorties de l'usine, les voitures n'y reviennent que pour y être "cassées", c'est à dire démontées. Les pièces métalliques repartent à la forge pour y être fondues, les bois encore utilisables sont récupérés, le reste est vendu aux récupérateur d'épaves, chiffonniers,... La pratique du recyclage de la CGV, comme celle de la CGO, ont de quoi faire rêver tout adepte du zéro déchet.
La cavalerie.
Si l'on ajoute à l'acquisition des chevaux les frais liés à leur entretien, les frais de gestion de la cavalerie représente plus de 50% des dépenses de la compagnie; 56,6 % en 1869.
Le nombre de chevaux varie bien sûr suivant les années. La guerre de 1870 et les évènements de la Commune épuisent les cavaleries de transports publics parisiens. La CGV est une des plus touchée et elle commence l'exercice de 1871 avec un cheptel de seulement 569 chevaux. Elle se doit de renouveler rapidement son cheptel et se retrouve propriétaire de 8639 chevaux à la fin de l'année. Ces effectifs progressent jusqu'à se stabiliser entre 11200 et 11700 dans la dernière décennie du siècle.
Le type de travail demandé aux chevaux de location, et particulièrement à ceux des fiacres, est épuisant. Aussi, l'exploitation d'un cheval de place ne dépasse guère les 3 à 5 ans. " Il faut, pour le service de Paris, des chevaux de race énergique, habitués aux privations et à la misère" -Un contemporain, cité par Maxime Du Camp en 1867-. Les achats de chevaux de remonte sont donc importants et représentent annuellement l'acquisition de 1500 à 2000 équidés.
Le renouvellement massif de la cavalerie, en 1871, va s'accompagner d'une modification importante dans les choix des types de chevaux. Jusqu'en 1870, la CGV utilisait de "petits chevaux" qu'elle achetait en Bretagne, en Normandie et du côté de Cherbourg et de gros chevaux achetés dans le Perche et le Limousin. Après la guerre, les fournisseurs habituels de la CGV ne peuvent répondre aux attentes de l'entreprise. Celle-ci se tourne alors vers des vendeurs de pays d'Europe du Nord Est; Allemagne, Hongrie et Danemark, qui lui fournissent un modèle plus homogène de petit cheval de fiacre qu'elle ne trouve pas en France. Avec le développement de ses activités de remise, elle se tournera également vers ces pays pour ses achats de certains chevaux de luxe.
A son arrivée, le cheval est essayé et après les 9 jours de garantie légales il est marqué sur le sabot d'un chiffre correspondant à la fiche d'identification qui lui est établie. Sous contrôle vétérinaire, il est, pendant soixante jours, progressivement entrainé à sa future activité. Il prend alors le travail correspondant aux 2/3 de celui d'un cheval fait et ne prend le service complet qu'après accord du vétérinaire.
L'alimentation rationnelle des chevaux fait l'objet d'études approfondies dans le double but d'assurer la santé des chevaux tout en limitant les dépenses. L'utilisation d'aliments de substitutions pour réduire le coût des rations; tourteau de mais, sarrazin ou fèverolles, alimente de virulentes attaques de la part, entre autres, de la SPA. Je ne m'étendrai pas sur ce sujet complexe mais il est à noter que les photos qui nous sont parvenues montrent des chevaux assez secs d'apparence.
La rationalisation de l'alimentation ne se limite pas au contenu des rations mais aussi à la préparation des grains et fourrages. La CGV est la seule entreprise de transport public à regrouper en un seul lieu; la manutention générale, située Rue du ruisseau et la préparation des aliments qui sont ensuite distribués dans les différents dépôts.
La manutention générale
Créé en 1879, ce service abrite:
-un laboratoire:
Celui-ci dispose de bureaux d'études et d'un laboratoire de recherche proprement dit, d'une écurie d'expérimentation équipée d'un sol aménagé pour recevoir les urines et d'un manège dynamométrique.
-un lieu de stockage des aliments:
Afin de limiter les coûts, en particulier les frais d'octroi, les grains sont nettoyés à l'extérieur de Paris et ensuite stockés dans 112 silos qui alimentent le local de préparation mécanique des rations. Celles-ci sont calculées pour correspondre aux besoins spécifiques des chevaux suivant leur activité.
Afin de faciliter le stockage et la manutention, les foins, quant à eux, sont compressés et acheminés mécaniquement dans les granges.
-un service d'expédition:
Il est constitué d'un ensemble de véhicules; fourragères, fourgons de transport des sacs de grain, qui alimentent les différents dépôts de la compagnie.
Camion et fourgon de transport de sacs de grain photographiés dans un dépôt de la CGV dans les années 1880 (Collection Hans Paggen)
Les dépôts
La compagnie dispose de 19 dépôts dont 18 abritent les équipages de voitures de place et de remise, le dernier est spécialisé dans le service de grande remise.
Dépôt de grande remise:
Ce dépôt assure la double fonction;
-d'abriter voitures et chevaux.
-d'être un véritable lieu d'exposition, où la riche clientèle vient faire son choix.
Situé Rue basse du rempart, il est le seul de la compagnie à disposer d'écuries à deux étages superposés, surmontés de greniers à foin et à grains. Les 260 chevaux d'un grand prix qu'elles abritent sont séparés par des cloisons mobiles, facilement détachables en cas d'incident. Ils ont à leur disposition une infirmerie avec un vétérinaire en permanence.
Voici un type d'écurie à étages, photographiée en 1910 à Berlin. Cela donne une idée de ce type d'écurie mais celles de la CGV, composées de seulement deux étages, étaient plus luxueuses.
Les 2 étages d'écuries aboutissent de plein pied, par une pente douce, dans une cour entièrement vitrée de près de 1000m2 ou l'on prépare les équipages.
Les voitures de luxe que nous avons précédemment présentées sont alignées dans de vastes remises situées au 1° étage d'où elles peuvent être descendues par un ascenseur.
Les clients louant au mois ou à l'année ne désirent pas tous garder chevaux, personnels et voitures à leur domicile. La CGV loue donc au plus proche de sa clientèle, dans les riches quartiers de Paris, des locaux pour abriter les équipages. Le nombre de ces "stations de remise" avoisine la trentaine en 1867.
Dépôts des voitures de place et de remise
Ces dépôts sont gérés par un chef de dépôt qui a la responsabilité de la direction du personnel, du contrôle de la cavalerie et de l'entretien du parc hippomobile.
Il est secondé par des piqueurs et sous-piqueurs qui, au quotidien, font exécuter les ordres du chef de dépôt. Il s'assurent que:
-les chevaux sont en état de travailler, faisant appel si nécessaire au vétérinaire ou au maréchal-ferrant.
-les palefreniers ont respecté les consignes dans l'alimentation et le soin de chaque cheval.
- les laveurs de voitures, charrons et bourreliers ont fait le nécessaire pour que le matériel soit en état d'être remis en service.
-les cochers soient arrivés à l'heure et en tenue correcte pour contrôler leur équipage avant leur départ. Ces différents corps de métier œuvrent dans un ensemble de bâtiments comprenant les écuries, remises, forges, ateliers de charronnage et de bourrellerie,...
Ecuries et remises
La disposition des bâtiments est pratiquement identique dans tous les dépôts et s'apparente à celle de l'avenue Ségur, décrite ici par Maxime Du Camp:
"Une immense cour est occupée sur chacun de ses quatre côtés par un bâtiment composé d'un rez-de-chaussée et d'un étage en brisis; en bas sont les écuries, en haut sont les greniers. Au milieu de la cour s'élève un hangar en bois, soutenu par des piliers et séparé en trois larges avenues; c'est la remise; c'est là que, dans un ordre règlementaire, sont rangées les voitures lorsqu'elles ont terminé leur service régulier." Jouxtant les écuries, on trouve la forge et l'infirmerie qui dispose d'une bétaillère destinée au transport des chevaux blessés ou malades.
Van hippomobile à deux roues protographié dans un dépots de la CGV dans les années 1880 (collection Hans Paggen)
Le fonctionnement des différentes activités du dépôt; transport des fumiers, approvisionnement des ateliers, nécessite l'utilisation de diverses charrettes et camions.
Ateliers de réparation
Les ateliers de réparation sont un peu plus loin dans une autre cour, elle aussi bordée d'une rangée d'écuries.
Ces ateliers assurent plusieurs fonctions:
-l'entretien au quotidien des voitures; surveillance des boîtes d'essieux et des mécaniques, nettoyage.
-la révision bisannuelle de la voiture, avec reprise totale de la peinture.
-la réparation des voitures accidentées. Les statistiques de la CGV, déjà citées, nous permettent de confirmer la dangerosité de la circulation dans Paris.
Hormis l'année 1871 avec seulement 3618 réparations, la moyenne sur la période 1867-1874 est beaucoup plus élevée, oscillant entre 4400 et 4900 voitures réparées. Sur cette même période, les principales réparations concernent le remplacement des roues; entre 20000 et 27000 par an, et des brancards; 18700 pour la seule année 1874. Le facteur accidentogène le plus fréquemment mis en avant pour ces types d'intervention est la présence au sol des rails des 22 lignes de tramway, installées entre 1853 et 1874.
Le nombre de casses d'essieux très important ( 969 en 1866, 669 en 1867, 420 en 1869) diminue dans les années suivantes et ne dépasse plus 300 accidents de ce type par an. Cette amélioration est peut être due à l'amélioration des fers utilisés ou à la meilleure formation des cochers; problématique très importante au sein de la CGV.
Les cochers
La CGV emploie des cochers pour ses voitures de remise et de grandes remise et des cochers pour la conduite de ses fiacres. Je n'ai pas d'information précise sur les services de grande et petite remise mais l'entreprise semble y avoir employé ses meilleurs éléments. Dans le respect des conditions générales de l'entreprise, leurs conditions de travail, en particulier pour les locations au mois ou à l'année, dépendent également des attentes spécifiques de chaque client.
Je me limiterai donc à la seule présentation des cochers de voitures de place. Ces hommes doivent, pendant d'interminables journées de 16 heures et plus, par tous temps, accueillir aimablement leurs clients, les conduire à bon port, tout en préservant, dans une circulation intense, l'intégrité de leurs voitures et de leurs chevaux.
Réunir toutes ces qualités en un seul homme n'est pas chose aisée et presse et littératures du XIX° ne se privent pas d' accuser les cochers de toutes les dérives; alcoolisme, manque de probité, impolitesse,..
La CGV, en complément de la surveillance spécifique effectuée par la préfecture de police, met, quant à elle, tout en place pour assurer la qualité du service rendu par son personnel. Cette administration très poussée du personnel s'appuie sur la sélection et la formation des nouvelles recrues, mais aussi sur une surveillance très pointilleuse de ses employés, accompagnée d'un sévère barème de sanctions.
Sélection des cochers
Contrairement aux cochers de la CGO, recrutés prioritairement par rapport à des critères liés à leur compétence dans le maniement des chevaux, les cochers de fiacre sont en premier lieu, en plus d'une "bonne moralité", jugés sur leur capacité à maîtriser les bases du calcul et de la lecture. Ces connaissances sont, bien sûr, indispensables pour conduire les clients au bon endroit et assurer la gestion de la caisse. On retrouve, certes, dans les recrues des anciens soldats du train, des cochers de particuliers sans place mais, plus généralement, des hommes ayant eu des parcours éloignés du milieu équestre; de nombreux bacheliers, des anciens notaires, huissiers, avocats,... et beaucoup de provinciaux venus faire fortune à la capitale.
"Les concurrents aux fonctions de cocher sont nombreux et divers. On compte parmi eux des avocats sans cause, des médecins sans clientèle, des ouvriers sans travail, des bacheliers es lettre et aussi quelquefois des gens qui ont la vocation." -L'illustration Novembre 1877"
Après avoir fourni des certificats de "bonne conduite", les candidats passent devant des examinateurs qui, devant une carte de la capitale, les interrogent sur leur capacité à se repérer et à trouver les trajets les plus courts.
La formation
Pendant une vingtaine de jours, ils apprennent les bases des soins aux chevaux, du harnachement, et de la technique de l'attelage.
Après cette période d'initiation, les apprentis vont apprendre à mener en pleine circulation, à un et deux chevaux, et à se repérer dans les rues parisiennes. Rassemblés dans un break d'écurie, ils prennent place, chacun son tour, aux côtés de l'instructeur.
Après un nouvel examen sur leurs connaissances des rues parisiennes, viennent les épreuves de conduite dont les plus difficiles sont le remisage et le reculer. Ils passent ces tests sur un coupé de réforme dont on a coupé la partie supérieure pour améliorer la visibilité; "La Thérèse"
Une "Thérèse" photographiée dans un dépôt de la CGV avant son départ à "La casse" (Collection Hans Paggen)
Ils obtiennent alors le permis de conduire une voiture de louage, qui devra être entériné par la préfecture de police. Celle-ci a, domiciliée dans les locaux de la fourrière, une administration spécifiquement dédiée au contrôle des voitures de louage et de leur cochers.
Contrôle des cochers par la préfecture de police:
Le permis obtenu, le cocher doit obtenir une autorisation préfectorale d'exercer le métier de cocher de voiture publique. L'autorité fait une enquête très poussée sur les antécédents et la moralité du postulant avant d'accepter sa candidature. Le cocher se voit alors attribué un numéro et l'administration lui ouvre un dossier qui, en plus de ses coordonnées et de son numéro, relève: son sommier judiciaire, tous les rapports suivis ou non de punition, les éventuelles mises à pied,...
Il peut alors exercer son métier sous le contrôle continu de la police; "La curieuse".
A chacune des 158 places (en 1866) disséminées dans Paris, est attaché un surveillant qui note, toutes les cinq minutes, les cochers présents, les horaires de départ et d'arrivée de chaque fiacre afin de pouvoir le comparer à la feuille de route que le cocher doit tenir. Le service reçoit également les plaintes des clients et, en cas d'infraction avérée, peut décider d'une sanction. Les sanctions de la préfecture ne sont jamais des amendes mais des mises à pied plus ou moins longues. Face à un cumul d'infractions, le préfet peut décider de supprimer le droit à conduire des voitures publiques. En 1867, il y eut en moyenne 180 plaintes par mois dont 60 furent suivies de sanctions.
Contrôle des cochers par la CGV
La CGV, quant à elle, a des inspecteurs mobiles qui visitent les stations, relèvent les numéros des voitures, visent les feuilles de route et notent les numéros de ceux qui prennent de la clientèle en dehors des stations. Ils interrogent ponctuellement la clientèle qui quitte les voitures.
Mais la CGV a également "un service secret" de surveillance, décrit ainsi par Maxime Du Camp.
"Les agents de ce service occulte se mettent en rapport avec des personnes que leurs fonctions obligent à prendre souvent des voitures. Moyennant des conventions que l'on peut soupçonner, ces personnes remettent à l'agence secrète la carte des voitures qu'elles ont employées après avoir eu soin d'y écrire le nombre exact d'heures et de minutes qu'elles ont payées. Ces cartes sont mises en regard de la feuille des cochers; si une erreur est constatée, l'agent secret touche 7 francs pour le prix de sa délation et le cocher est frappé d'une amende"
La CGV sanctionne, en effet, ses salariés essentiellement par des amendes, quelquefois pour des peccadilles, allant de 1 à 20 frs et pouvant aller jusqu'à 100frs pour des surfacturations ou détournements de caisse. Les amendes sont versées à la caisse de secours mutuel de la société, alimentée en outre par les cotisations des salariés et une subvention de la compagnie.
Evolution des activités de l'entreprise
Dans la dernière décennie du 19ème siècle, la compagnie, toujours à la recherche de la rentabilisation et la rationalisation de son fonctionnement, va commencer à sortir de la traction hippomobile. Elle commence par l'essai de deux voitures automobiles qui n'est pas concluent; l'odeur du pétrole incommodant la clientèle.
La CGV instaure alors en 1898 un service de fiacres électriques.
L'organisation de ce dépôt reprendra les règles de rigueur instaurées dans la traction hippomobile avec:
-la formation des chauffeurs sur des pistes et dans des véhicules dédiés à cette fonction d'apprentissage.
-la création de deux modèles adaptés à des accumulateurs interchangeables
Devant les problèmes d'autonomie et le manque de fiabilité de ces voitures, la CGV arrête cette activité et développe un service de voitures automobiles; les 125 premiers fiacres construits dans son usine d'Aubervilliers sont mis en service le 1° avril 1899.
La compagnie développe rapidement son parc automobile mais est une des rares grosses sociétés à maintenir un parc hippomobile important dans le premier quart du XX° siècle.
Texte:
Patrick Magnaudeix
Avec mes profonds remerciements à Hans Paggen pour m'avoir confié son exceptionnelle documentation.
Photos et iconographies:
Photos des voitures d'un dépôt de la CGV dans les années 1880. (Collection Hans Paggen, animateur du site "Tradition Fahrkrunst")
Photos de Paris avant 1853, Charles Marville.
Collection de l'auteur
Documentation:
Tarif 1876 (collection Bibliothèque de La rochelle)
Tarif 1881 (collection Bibliothèque Forney Paris)
Alfred Martin, "Etude historique et statistique sur les moyens de transport à Paris", 1896
Sidney, ( traduit par le comte de Beaumont) "Le livre du cheval"
Sauval, "Histoire et recherche des activités de la ville de Paris"
Bernard Causse, "Les fiacres de Paris"
René Musnier, "Les Messageries nationales"
A Wolf. "A l'heure et à la course" Figaro 1865 (Gallica)
Ghislaine Boucher, "Le cheval à Paris de 1850 à 1914"
Papayanis "Le secteur des transports parisiens" (Persée)
Pardailhé-Galabru "Les déplacements à Paris au XVII° et XVIII° siècle" (Persée)
Statuts Compagnie Impériale des voitures à Paris raison sociale E Caillard § Cie (Gallica)
Ducoux Notice Compagnie Impériale des voitures à Paris 1857 (Gallica)
Illustration "Formation des cochers de la compagnie générale des voitures à Paris" novembre 1871
Le monde illustré "les nouveaux fiacres électriques" 1898
Statistiques des ateliers de la compagnie générale des voitures à Paris. (Collection Hans Paggen)