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Nous avons pour habitude de considérer que la diversité des pratiques de location de nos moyens de transport; taxi, VTC, Leasing, covoiturage,... est un indicateur pertinent de notre modernité. Cependant, en recherchant quelque peu dans les archives, nous réalisons rapidement que nos ancêtres utilisaient de façon massive des dispositifs semblables, sinon plus diversifiés et complexes. Je vous propose donc de découvrir le monde de la location de voitures des siècles précédents, à travers l'histoire et le fonctionnement d'une société créée en 1855; "La compagnie Générale des Voitures à Paris" connue également, suivant les époques, sous la dénomination de "Compagnie impériale des voitures à Paris" et "Compagnie des petites voitures".
Cette entreprise gérait des voitures de place, autrement appelées fiacres ( qui sont les ancêtres de nos taxis), ainsi qu'une multitude d'autres prestations de mise à disposition de voitures, chevaux et cochers, regroupées sous la dénomination de voitures de remise.
1° Partie
Histoire et activités de l'entreprise.
Origines de la location de voitures aux particuliers
Les services de location de voitures aux particuliers à Paris apparaissent au XVII° siècle, entre 1612-1630 suivant les auteurs, à l'initiative de Nicolas Sauvage, "facteur" du maître des coches d'Amiens, pour qui il construisait des voitures à quatre roues. Il eut l'idée de construire des véhicules pour son propre compte et de les louer aux particuliers à Paris même.
"Or, cet homme fort entendu en fait de chevaux et de carrosses de louage, pour les bien ménager et les faire durer longtemps, s'avisa d'un nouveau trafic, qui fut d'entretenir à Paris de chevaux et des carrosses pour les louer au premier venu." -Sauval-
Il instaure donc à Paris un service de location de carrosses à l'heure et à la journée. Il fait ainsi concurrence aux services de location de chaises à porteurs qui viennent d'être attribués en privilège royal, en 1617 au capitaine Pierre Petit, Jean Douet, Jean Regnault Dessenville.( les brouettes dites vinaigrettes ne recevront privilège qu'en 1669).
Sauvage, malgré l'importance de son activité ;"... ayant quelquefois 20 carrosses et quarante à cinquante chevaux dans son écurie" -Sauval-, n'a pas sollicité de privilège et il a rapidement de nombreux imitateurs qui, même s'ils ne procurent pas la même qualité de service, le concurrencent et s'approprient même le nom donné à ses voitures de louage; les fiacres. (Voir ci-dessous l'article sur l'origine du terme de fiacre.)
Ces différents entrepreneurs proposent des voitures de louage; à l'heure à la journée, au mois, à la course,... que l'on peut venir chercher au dépôt de l'entreprise, d'où leur nom de voiture de remise, ou que l'on loue directement sur la voie publique et que l'on nomme alors voitures de place. Elles seules garderont, dès la fin du XVII°, le nom de fiacre. La liberté de commerce dont jouissent les loueurs de carrosse subit une première atteinte quand, en 1650, Charles Villerme obtient par lettres patentes le privilège d'être le seul à louer à Paris "de grandes et petites carrioles, litières,..."
Aucun des propriétaires des entreprises de carrosses de location ne peut obtenir le privilège d'exploiter des voitures de place qui est attribué, en 1657 par lettres patentes, à l'écuyer ordinaire du roi; Pierre Hugon sieur de Givry.
Ce monopole oblige le détenteur du privilège à "... faire établir dans les carrefours, lieux publics et commodes de la ville de Paris, tel nombre de carrosses, calèches et chariots attelés de deux chevaux chacun, pour y être exposés depuis les sept heures du matin jusqu'à sept heures du soir et être loués à ceux qui en auraient besoin soit par heure, demi heure, journée ou, autrement, à la volonté de ceux qui voudraient s'en servir pour être menés d'un lieu à l'autre..." Le détenteur de ce monopole confie la mise place de ce service à différents entrepreneurs.
Dès cette époque, les utilisateurs se plaignent de différents abus de la part des cochers. Cette situation amène l'administration à encadrer rapidement l'utilisation des fiacres; détermination des lieux de stationnement (1688), fixation des tarifs (1696), numérotation obligatoire et payante des voitures permettant d'identifier les auteurs de comportements indésirables tout en enrichissant les caisses de l'état. En 1753, Paris dispose de 28 emplacements de fiacres et le privilège du sieur de Givry est exploité par 60 entrepreneurs, qui louent également des voitures de remise. Mais les finances royales, toujours exsangues, amènent l'administration à octroyer de nouveaux privilèges concurrençant plus ou moins directement le privilège de la location de fiacres;
-les "Voitures pour la suite de la cour", assurant la liaison entre Paris et les différentes résidences royales, dont le privilège est attribué à Mme de Beauvais,
-les "Carrosses publics à cinq sols", dont le privilège est attribué au Duc de Roannez, au Marquis de Sourches et au marquis de Grenan. Un décret du parlement interdisant leurs accès aux laquais, manœuvres,... limite leur rentabilité et elles cessent rapidement leur activité.
-les "Chaises à la Grenan", voitures légères à deux roues et deux places dont le privilège de construction et d'exploitation est attribué au Marquis de Grenan, au Marquis de Sourches et à leur concepteur le sieur La Gruyere.
-"Les Calèches attelées à un seul cheval", dont le privilège est attribué au mousquetaire et écuyer du roi; Nicolas Piquet.
-...
Cette multitude de privilèges provoque une grande confusion résolue partiellement par de nombreuses négociations et d'accords entre les différents dépositaires de droits.
En 1779, le privilège des fiacres est attribué sous forme de concession onéreuse au sieur Perreau qui le garde jusqu'à la révolution.
De la libre entreprise à un nouveau monopole
En 1790, la révolution met fin au monopole exercé par Perreau et ouvre le marché de la location de voitures à la libre entreprise. Celles-ci se créent rapidement sous différentes formes allant d'entrepreneurs ne possédant qu'une seule voiture à ceux propriétaires de plusieurs dizaines. A noter également l'existence, en petit nombre, de coopératives qui ne se développeront réellement que dans le dernier quart du XIX° siècle (une dizaine en 1885).
Le nombre global d'entreprises, assurant souvent conjointement les prestations de voitures de place et de remise, progresse rapidement. L'almanach du commerce mentionne 45 "Loueurs de carrosses" en 1804, 80 "Loueurs de carrosses" en 1810 puis, avec une évolution des dénominations, 161 "Loueurs de voitures" en 1820, 141 "Loueurs de voitures et de cabriolets" en 1825. Une publication; Recherches statistiques sur la ville de Paris donne une évaluation approximative du nombre de voitures de place et de remise utilisées en 1819; soit 1071 voitures de place et 1872 voitures de remise, ce qui donne un total de 2943 voitures. Cette même étude évalue à 4800 le nombre de voitures particulières circulant à Paris, ce qui permet de souligner l'importance prise par le secteur de la location dès ce premier quart du XIX° siècle.
En 1853, à la veille de la réorganisation des transports publics par le second empire, l'historien Alfred Martin estime à 3450 le nombre de voitures de remise et à 1992 le nombre de voitures de place. Il est à souligner, pour ces dernières, un renforcement très net des conditions règlementaires de leur exploitation comme:
-l'établissement de normes de construction des voitures établies par la préfecture de police, qui contrôle également le nettoyage journalier des véhicules,
-la règlementation drastique des conditions d'embauche et de surveillance des cochers. Donc, si la libre entreprise est toujours de mise en 1854, elle est fortement encadrée par la préfecture qui garde cette place de surveillance renforcée du secteur avec l'arrivée du monopole puis tout au long du XIX°.
Ce monopole va être assuré par la compagnie sujet de notre étude qui, à ses débuts, s'intitule "Compagnie Impériale des Voitures à Paris"
Naissance de la "Compagnie Impériale des voitures à Paris"
Devenu empereur, Napoléon III décide de transformer Paris qui, à l'époque, est une ville aux rues étroites, sinueuses et souvent insalubres. La circulation de tout véhicule y est très difficile ce qui participe à entraver le développement économique de la capitale.
En 1853, il en confie la responsabilité au préfet de la Seine; Haussmann, qui n'a de cesse que de faciliter la "fluidité de la circulation des personnes, des biens, de l'air, et de l'eau". Au delà de la transformation des axes de circulation, il prit en compte, dès le départ, l'organisation des transports publics en s'appuyant sur l'analyse de Napoléon III qui pensait que "le monopole est le moyen le plus expédient d'assurer une bonne organisation des transports dans une grande citée-Hausmann-", d'où la délégation, en 1855, du monopole d'exploitation des transports publics à deux entreprises:
-Pour les omnibus; la "Compagnie Générale des Omnibus", dont le regroupement s'appuie sur la plus ancienne société d'omnibus; "L'entreprise Générale des Omnibus" (Société qui avait repris les activités de Stéphane Baudry et dont le directeur en place en 1855 assure la direction de la CGO)
-Pour les fiacres; "la Compagnie Impériale des Voitures à Paris"( raison sociale est E Gaillard § Cie), initiée par la société "Les "Messageries générales" (Lafitte et Gaillard, ) qui avait vendu son activité de messagerie en 1854 aux "Messageries impériales". Elle avait donc le capital nécessaire pour développer une entreprise de fiacre à grande échelle. De nombreux actionnaires de la société bourgeoise et financière s'investirent dans cette nouvelle entreprise; Famille Laffite, Rothschild, Pereire,...
Compagnie Impériale des voitures à Paris.
Si la mise en place de la Compagnie générale des omnibus (CGO), qui ne regroupe que quelques entreprises, est rapidement opérationnelle, la fusion des multiples compagnies de fiacres en une seule entreprise; la Compagnie Impériale des voitures de Paris (CIV), fut plus délicate à réaliser.
Cette situation résulte de plusieurs facteurs spécifiques liés aux caractéristiques des entreprises à regrouper et aux exigences techniques et financières des administrations municipales et préfectorales:
-Facteurs liés aux caractéristiques des entreprises.
Ce secteur d'activité est majoritairement composé de petites entités qui, hormis quelques rares sociétés gérant une centaine de fiacres, possèdent moins de 10 voitures et, le plus souvent moins, de 4. Sur les 145 entreprises de voitures de place en activité en 1853, 140 ont été rachetées ou ont fusionné assez rapidement avec la CIV et seuls 5 entreprises, gérant 65 numéros, ne sont pas sous contrôle du monopole en 1858. Ces accords, négociés dans l'urgence à un prix fixé par une autorité indépendante, soumise cependant à la pression des propriétaires de voitures de place et aussi de remise, coutent cher à la CIV. A cette charge se rajoute un lourd investissement immobilier pour construire les différents dépôts, indispensables à une organisation rationnelle d'un tel monopole. Les locaux des anciens propriétaires n'avaient pas la taille nécessaire ou étaient promis à la démolition dans le cadre du projet haussmannien.
-Les contraintes techniques et financières imposées par les autorités.
-Les besoins de transports publics, liés à l'organisation de l'exposition universelle de 1855, avaient été sous-estimés. Pour répondre, dans l'urgence, à cette situation, le contrat de monopole oblige la compagnie à s'engager de faire construire immédiatement, en complément du parc existant, 500 voitures de place et, de plus, à commander la fabrication de 500 voitures de remise, sur trois ans.
-Les autorités envisagent cette restructuration du marché du fiacre comme un outil de financement de la transformation architecturale de la capitale.
Hormis les 500 numéros des nouvelles voitures nouvellement construites, attribués gratuitement, les autorités obligent la CIV de racheter en tous les numéros de fiacre entrant en sa possession mais au prix de 7500 frs par numéro alors qu'il était, jusque là, fixé à 6000 frs. De plus, la taxe municipale annuelle passe de 180frs à 365 frs et s'étend aux voitures de remise gérées par la CIV.
A ces charges financières s'ajoute une forte résistance des autorités à tenir compte, dans la fixation des tarifs, des charges liées à l'augmentation des prix des fourrages et à la nécessité de renouveler nombre de véhicules et chevaux surexploités pendant l'exposition universelle.
Face à cet ensemble de difficultés, l'entreprise ne peut verser aucun dividende et est au bord de la faillite. Ne pouvant obtenir la modification des tarifs et l'acceptation d'autres revendications qui lui semblent indispensables à la survie de l'entreprise, le conseil de surveillance (conseil d'administration) de la CIV, lors de l'assemblée générale du 25 mai 1857, démissionne en son entier.
En juillet 1857, la préfecture de police accepte, en partie, les revendications de l'entreprise. Le 1° aout 1857, un nouveau conseil de surveillance est nommé dont la direction est attribuée à M Ducoux. La nouvelle direction, toujours dans une relation conflictuelle avec les autorités et devant gérer un lourd endettement, reprend les activités de l'entreprise. Après des négociations ardues, un nouveau contrat de monopole de 50 ans est signé en 1862. Il stipule que la CIV s'engage à faire circuler 3000 fiacres au plus tard en 1865, ce qui n'est pas respecté. Cette même année 1865, éclate une grève des cochers de la CIV; les cochers de fiacre effectuent alors un horaire de 18 h par jour et demandent le passage à seize heures ainsi que l'augmentation de leurs salaires.
Début de l'article du figaro sur la grève paru le 22 Juin 1865. J'aborderai la question des conditions de travail des cochers dans la seconde partie de cet article.
Cette grève fait craindre au pouvoir la paralysie de Paris car il n'y a pas d'entreprise concurrente qui pourrait contrebalancer le blocage des fiacres de la CIV. Ces deux éléments poussent l'administration à mettre fin au monopole et ainsi à ouvrir le champ à la libre concurrence. En août 1866, la CIV cesse d'exister et se transforme en "Compagnie générale des voitures de Paris."
Compagnie Générale des Voitures à Paris
La CGV reprend donc ,en 1866, la gestion des 2482 voitures de place, 500 voitures de remise, 10500 chevaux, 3716 cochers et 553 palefreniers de la CIV. Elle va se confronter, certes dans un marché en plein développement, à une sévère concurrence; en 1885, dans Paris intra muros, il y a plus de loueurs de voitures pour particuliers (165) que de carrossiers (135) -Chambres syndicales-.
Dans ce nouvel environnement et malgré la perte, lors de la commune de Paris, de 68% de ses chevaux, la CGV garde jusqu'à la fin du siècle le statut de leader du secteur. Grâce à une maîtrise complète de son organisation, elle continue son activité de voitures de place tout en développant une activité de location de voitures de remise aux particuliers et de services aux entreprises, commerces et administrations. Nous pouvons reconstituer l'ensemble de ces services en examinant les tarifs édités chaque année par la société.
Les activités de la CGV
Service de voitures de place
En 1881, les fiacres de la CGV représentent, d'après l'entreprise, plus de la moitié des voitures de place circulant dans Paris. Le nombre exact des véhicules dédiés à cette tache est difficile à estimer. Si la compagnie numérote ses voitures de place de 1 à 5000, cela ne correspond pas aux voitures réellement en circulation. En 1881, l'entreprise possède aux alentours de 11600 chevaux et plus 6500 voitures et emploie plus de 6000 salariés. Donc, au vu de l'importance de ses autres activités, il est difficile qu'elle puisse avoir 5000 fiacres en circulation..
Toutes ses voitures de place sont identiques dans leur présentation; couleur verte avec filets rouges. Les portières portent "un écusson avec couronne murale fond rouge, jarretière blanche et, en exergue, Compagnie générale des voitures de Paris." -Tarif 1881-
Les voitures utilisées pour assurer le service de place sont de différents types.
"Voitures à deux places;
Coupés, Mylords, Paniers à deux place, Cab français.
Voitures à quatre places;
Clarence à deux chevaux, Landaus à deux chevaux, Voitures anglaises à un cheval, Paniers à quatre places, Vis à vis à quatre places.
Voitures à six places; Omnibus, voitures dites de famille." -Tarifs 1876-
Les lanternes sont colorées de quatre couleurs différentes qui correspondent aux dépôts de la CGV dans les différents quartiers de Paris. En effet, pour faciliter, à la sortie des théâtres et autres lieux festifs, le retour des voitures à leur dépôt, la CGV préconise à ses clients:
"Le soir, à partir d'une certaine heure, il est préférable de prendre une voiture aux lanternes de son quartier"
Bleue: Popencourt-Belleville.
Jaune: Poissonnière-Montmartre.
Rouge: Champs-Elysées- Passy- Batignolles.
Vertes: Invalides-Observatoire." -Tarif 1876-
Les harnais portent un écusson en cuivre au dessin identique à celui des portières. Le frontal du cheval est blanc avec des cocardes de la même couleur que les lanternes.
Les cochers sont habillés de la façon suivante; "chapeau en cuir noir, un pantalon noisette, gilet rouge, redingote bleu foncé et boutons de cuivre aux armes de la compagnie"
Les cochers doivent respecter une réglementation très stricte, émise par l'autorité administrative et dont ils doivent porter, sur eux, un exemplaire afin de le montrer aux voyageurs à toute réquisition.
A chaque course, le cocher doit remettre au client un bulletin comprenant les tarifs des différents types d'utilisation; à l'heure, à la course, ... ainsi que le numéro de la voiture qui lui sera éventuellement nécessaire pour déposer une réclamation ou une demande de recherche d'un objet oublié. Celles-ci doivent être transmises au siège de la société, 1 Place du théâtre français. C'est à cette même adresse, au service des locations, que les voyageurs peuvent retenir des voitures de place pour se rendre dans les gares soit directement, soit par dépêche.
Service de voitures de remise
Les nombreuses iconographies représentant les Champs Elysées, les allées du bois de Boulogne ou les sorties de théâtre peuvent nous faire penser que, au XIX° siècle, chaque famille bourgeoise parisienne possède son écurie, ses voitures et son personnel.
Retour du grand prix de Chantilly. Certains contemporains estiment à 7000 le nombre de voitures s'agglutinant autour du Champ de courses.
Pourtant, ce n'est pas le cas. Le marché de la location de voitures de remise, même s'il n'arrive pas au niveau d'activité de celui de Londres, est extrêmement important. Voici quelques explications de cet engouement pour la location de voitures:
-L'entretien d'une écurie, la gestion du personnel, l'alimentation et le soin aux chevaux ont un coût important. Pourtant, cet engagement financier ne garantit pas, en cas de maladie des chevaux ou détérioration des voitures, une continuité du service. Donc, certains préfèrent louer des voitures au mois ou à l'année; pratique qui s'accroit en France avec l'installation des lignes de tramway dont les rails augmentent les risques d'accidents, donc d'immobilisation des voitures.
-Les propriétaires n'ont pas toujours les équipages correspondant à leurs différentes utilisations: que ce soit en types de chevaux, harnais ou de voitures; coach, break pour aller aux courses hippiques ou chars à bancs pour les escapades en campagne. Ils s'adressent donc de manière ponctuelle aux loueurs.
-La petite bourgeoisie, quant à elle, se contente de louer des voitures en tant que de besoins; sorties au théâtre, excursions, mariages,..
-Si les entreprises et les administrations ont leurs propres parcs de voitures, elles n'en assurent pas toujours, pour des questions d'organisation et de choix économiques, la totale gestion. Les loueurs assument alors, par adjudication, la fourniture des chevaux, des harnais et des cochers.
Pour répondre aux besoins spécifiques de ces clientèles, l'entreprise assure plusieurs services distincts:
Service de voitures de luxe; dit de grande remise*
Ce service s'adresse aux gens fortunés qui ne veulent pas se charger de la gestion d'une écurie. "Rien n'est plus ennuyeux que d'avoir des équipages à soi; on est esclave de son cocher, de ses chevaux et de ses voitures et l'on ne sait jamais où s'arrête la dépense" -Tarif 1876-
Un dépôt spécifique, situé dans un quartier très riche; Rue basse du rempart, est spécialement organisé pour répondre aux attentes de cette riche clientèle. Il propose toute une série de voitures de luxe, sorties des propres ateliers de la CGV ou de ceux des plus grands carrossiers; "calèches huit ressorts, berlines, coupés Dorsay, landaus,..." -tarif CGV 1876-
Pour apprécier la qualité du parc, voici les types de voitures cités dans le tarif 1876; Calèche huit ressorts, berline, coupé Dorsay, landau. (collection de l'auteur)
A la demande du client, l'entreprise peut lui commander, chez le carrossier de son choix, la voiture lui correspondant. Les véhicules peuvent être peints aux couleurs, chiffres et armes demandés. Pour compléter l'équipage, les harnais et les chevaux sont également choisis avec le plus grand soin. En plus du cocher, éventuellement du postillon, habillés de tenues aux couleurs du client, la prestation peut inclure la présence d'un valet de pied ou d'un chasseur.
Pour habiller son personnel au goût du client, ce dépôt dispose d'un local de confection dédié à cette fonction. Il dispose d'un cabinet de coiffure pour poudrer les perruques, réaliser les catogans des postillons,...
Les voitures sont le plus souvent louées à l'année pour un tarif allant de 800 à 2000frs par mois, suivant la qualité de la voiture, le nombre de chevaux et de personnels attribués à l'équipage.
Si les clients veulent conserver leurs voitures et harnais, la compagnie en assure l'entretien et ne fournit que le personnel et les chevaux. Tout le service est logé dans les écuries du client, s'il le désire, ou, au besoin, dans l'établissement de la compagnie le plus proche.
Ce service de luxe, de prestige et du plus grand confort peut également être accessible pour de courtes périodes en tant que de besoins: mariages, réceptions, accueil de ministres, ambassadeurs, riches étrangers de passage, etc...
Service de voitures bourgeoises; dit de remise
Cette prestation offre un service moins somptueux mais assure la location de "voitures bourgeoises", chevaux, harnais de qualité menés par des cochers qualifiés.
Les commandes se font directement ou par dépêche aux trois agences de la compagnie; 1 Place du théâtre français, 17 Boulevard Montmartre et 50 bis Rue basse du rempart, ou directement dans ses établissements établis dans 13 des 19 arrondissements de Paris.
Le service des voitures bourgeoises se divise en;
-Voitures à l'année:
Le client règle à la fin de chaque mois mais la compagnie se réserve le droit de faire payer d'avance. Pour vous donner une indication; le client en 1876 paye, par mois, 700 frs pour un coupé ou une victoria à un cheval, 800 pour un coupé 3/4 à un cheval, 850 pour un coupé ou victoria à deux chevaux, 900 pour un landau, 1000 en poste. Tout client qui conserve la voiture plus de 9 mois reçoit une bonification de 450 frs.
Landau à 5 glaces, photographié dans un dépôt de la CGV dans les années 1880 (Collection Hans Paggen)
-Voitures au mois:
"C'est la voiture des hommes d'affaires, médecins, agents de change, courtiers, négociants ou administrateurs"- Tarif 1876-. La compagnie fait des arrangements particuliers pour la demi-journée ou un certain nombre d'heures tous les jours.
-Voitures à la journée et à la demi journée
Les voitures accessibles à la location à la journée sont; les coupés, coupés 3/4 et victorias à un et deux chevaux, les landaus, petits et grands omnibus attelés à 4 chevaux, mail coachs, breaks à 22 et 35 places et char à bancs à 18 et 27 places.
Seuls les coupés, coupés 3/4, victorias à un et deux chevaux, berlines et landaus sont disponibles pour la location à la demi-journée. Les prix sont augmentés si la voiture dépasse un rayon de huit kilomètres.
-Voitures pour les visites:
Il y a une pratique très prisée dans la bourgeoisie qui est, pour les femmes, de "visiter" leurs amies. La dame se rend chez une amie et fait descendre son valet pour savoir si elle peut être reçue. En cas d'absence, le valet laisse sa carte d'où le nom donné par les cochers à cette pratique ; "La tournée des cartes". La CGV propose à cette clientèle féminine un service spécifique lui assurant "d'avoir un équipage très propre, un cocher poli, une voiture marchant vite." En cas d'une utilisation régulière 2 à trois fois par semaine, la cliente est assurée d'avoir la même voiture et le même cocher.
-Voitures pour les sorties au théatre, bals et soirées,...
Ce service permet au client d'avoir à sa disposition une voiture viendra le chercher à son domicile et qui l'attendra jusqu'à qu'à son départ de l'évènement.
-Voiture de chemin dite de chemin de fer.
Le client peut commander à l'avance une voiture équipée éventuellement d'une galerie pour les bagages afin de l'amener ou de le chercher à la gare de son choix.
-Ensemble de voitures pour les cérémonies de mariage.
La CGV propose, également, la mise à disposition de l'ensemble ou partie des voitures nécessaires à l'organisation des mariages, des plus humbles aux plus prestigieux avec, bien sûr, des tarifications adaptées aux niveaux des prestations.
-Voitures pour les jours de course.
La compagnie fournit toutes sortes de voitures; mail coach, char à bancs, landau,.... pour répondre aux attentes des foules qui se rendent aux courses à Chantilly, La marche le Vésinet, Longchamps, Auteuil.
Char à bancs grand modèle utilisé pour les transports vers les champs de course, photographié dans un dépôt de la CGV dans les années 1880 (Collection Hans Paggen)
Louer un coach pour se rendre aux courses est particulièrement apprécié car ce véhicule sert de "tribune". Les prix sont à la hauteur de l'affluence; ainsi, pour Chantilly, un coach se loue deux fois et demi le prix d'une location à la journée ordinaire. Pour certaines courses, comme le Grand prix, il est nécessaire de réserver 10 jours à l'avance et le prix se négocie de gré à gré.
-Voitures pour les excursions et les expositions.
En plus des coachs, la CGV détient une flotte de différents types de chars à bancs, particulièrement appréciés pour les excursions.
Ces chars à bancs sont, bien sûr, de grande qualité et peuvent être le fruit de la collaboration avec de grands noms de la carrosserie, comme ce char à bancs créé en partenariat avec Binder aîné.
La CGV expérimente également différents types de voitures comme cet étonnant modèle, photographié dans un dépôt de la CGV.
Il est possible qu'il ait été utilisé pour des excursions mais également pour les transports vers les expositions, comme l'Exposition universelle de 1878. Cette hypothèse est renforcée par l'utilisation du même type de voiture pour l'Exposition universelle de Berlin. L'entrepreneur allemand avait fait construire les 10 coachs par le carrossier Ed. Kühlstein. Il est envisageable que suite à l'échec de leur exploitation en allemagne certains de ces coachs ait été acheté par la compagnie générale des voitures.
-Voitures attelées en poste.
Nous terminons cette liste des prestations de la CGV aux particuliers par un service qui est peu connu et documenté; celui des voitures attelées en poste.
Ce service répond à la spécificité du Paris du XIX°. La ville est encombrée, polluée par le bruit, les odeurs et émanations provoqués par les industries installées dans la ville mais, surtout, par la circulation d'attelages de toutes sortes. Pour s'y soustraire, la grande bourgeoisie prend l'habitude de vivre l'été dans sa résidence de campagne. Les hommes d'affaires ont donc besoin de venir en journée gérer leurs affaires à Paris. Il en est de même pour les élus, qui doivent se rendre à Versailles pour certaines séances du parlement.
Ces transports d'une clientèle "huppée", pour des parcours longs sur des chemins de campagne pas toujours bien entretenus, nécessitent l'utilisation de chevaux de type carrossier, attelés en harnais de poste à des voitures bourgeoises. Les cochers sont habillés, quant à eux, avec des uniformes de postillon.
Milord et landau photographiés dans un dépôt de la CGV dans les années 1880 (Collection Hans Paggen)
Cette prestation de la CGV, qui est probablement assurée par d'autres compagnies concurrentes, explique la présence, dans la circulation parisienne, d'équipages menés en poste.
Ce service peut s'étendre également aux promenades et excursions.
Services dédiés aux entreprises commerces et administrations.
La CGV propose deux types de services à ces différents clients:
-La fourniture d'un équipage complet.
Il est adapté aux besoins de la clientèle avec la mise à disposition des voitures correspondant à leur activité. Par exemple:
° Voitures pour pensionnat.
La compagnie traite à forfait pour le transport des élèves de pensionnats en omnibus, ainsi que pour les promenades aux environs de Paris. Elle fait construire, à cet effet, des omnibus et chars à bancs pouvant contenir de 12 à 20 personnes.
° Voitures pour obsèques.
J'ai signalé, dans l'article "Le char funèbre français dit corbillard", que les pompes funèbres attribuent à chacune de leurs classes d'enterrement un nombre limité de voitures de deuil; par exemple 4 pour la 4° classe. En cas de besoins, pour ne pas payer les frais d'une classe plus élevée, la CGV propose des voitures aux chevaux harnachés en deuil.
°Voitures pour les des activités spécifiques
Elle loue aussi, par exemple, des voitures spéciales de supplément aux commerces pour leurs expositions de saison. Des voitures photographiées au dépôt, vers 1880, laissent envisager d'autres activités mais je n'ai pu trouver des précisions sur leur utilisation.
-La fourniture et la gestion de la cavalerie et du personnel.
Les nombreuses compagnies de location se disputent âprement les adjudications de gestion des parcs de voitures appartenant à différentes entreprises et administrations.
Pour sa part, la CGV assure ce type de service pour divers secteurs d'activité:
° Grands magasins
La CGV gère ainsi le parc de voitures de différents grands magasins; Le Louvre, le Bon marché, La paix, Le printemps, Le coin de rue, la maison Godchaux, la Belle jardinière etc.
Voici une partie de la flotte des voitures de La belle jardinière avec chacun des panneaux de réclame pour différentes campagnes commerciales, photographiée dans un dépôt de la CGV dans les années 1880 (Collection Hans Paggen)
° Services de santé de la préfecture
Les moyens hippomobiles de transport des malades ne se mettent en place que tardivement. En 1881, la préfecture de police fait l'acquisition de 3 ambulances dont elle attribue l'adjudication à la CGV.
En 1884, à la suite d'une grave épidémie, la préfecture de police achète un local spécial pour remiser 30 fiacres réformés par la CGV, repeints et garnis de vitres dépolies et gérés en tant que de besoin par adjudication.
° Fourgons cellulaires de la préfecture
De 1877 à 1880, la CGV reçoit, en adjudication, la gestion du parc de fourgons cellulaires de la préfecture.
Fourgons cellulaires photographiés dans un dépôt de la CGV dans les années 1880 (Collection Hans Paggen)
° ...
A toutes ces activités, la CGV ajoute le commerce de ses chevaux de réforme; carrossiers pour l'agriculture et chevaux de luxe.
Dans la deuxième partie de cet article, je traiterai de l'organisation de cette florissante entreprise: la gestion des dépôts, des ateliers de construction, de l'entretien, de l'alimentation et des soins aux chevaux et, objets de toutes les attentions, le contrôle et la formation des cochers. Je terminerai cette 2° partie en traitant des mutations de l'entreprise avec la mise en place de fiacres électriques à la fin XIX° et le passage progressif à l'utilisation de l'automobile au début du XX° siècle.
Annexes:
*Le terme de voiture de grande remise prend son origine à la cour de Versailles au XVII° siècle. Pour répondre aux problèmes de circulation et de stationnement, l'administration met à disposition des cochers deux espaces de stationnements différentiés, au pied du château.
-Les cochers des carrosses luxueux des hauts dignitaires ont accès à la "grande remise"
-Les cochers des autres voitures attendent à la "petite remise"
Texte:
Patrick Magnaudeix
Photos et iconographies:
Photos des voitures d'un dépot de la CGV dans les années 1880. (Collection Hans Paggen, animateur du site "Tradition Fahrkrunst")
Photos de Paris avant 1853, Charles Marville.
Collection de l'auteur
Documentation:
Tarif 1876 (collection Bibliothèque de La rochelle)
Tarif 1881 (collection bibliothèque Forney Paris)
Alfred Martin, "Etude historique et statistique sur les moyens de transport à Paris", 1896
Sidney, ( traduit par le comte de Beaumont) "Le livre du cheval"
Sauval, "Histoire et recherche des activités de la ville de Paris"
Bernard Causse, "Les fiacres de Paris"
René Musnier, "Les Messageries nationales"
A Wolf. "A l'heure et à la course" Figaro 1865 (Gallica)
Ghislaine Boucher, "Le cheval à Paris de 1850 à 1914"
Papayanis "Le secteur des transports parisiens" (Persée)
Pardailhé-Galabru "Les déplacements à Paris au XVII° et XVIII° siècle" (Persée)
Statuts Compagnie Impériale des voitures à Paris raison sociale E Caillard § Cie (Gallica)
Ducoux Notice Compagnie Impériale des voitures à Paris 1857 (Gallica)
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